La famille Adam : sculpter pour l’éternité


À Nancy, la rue des Dominicains est encore marquée par la présence des Adam. Au numéro 57, la façade est ornée de bas-reliefs, les fenêtres sont surplombées de motifs floraux et sur les moulures, de fines statues célébrant les arts et les dieux de la mythologie semblent danser… C’est ici qu’à l’époque des Lumières, résident quelques-uns des plus grands sculpteurs français, une famille de virtuoses dont le patriarche s’appelle Jacob Sigisbert Adam (1670–1747). L’artiste est renommé pour ces bustes et statuettes en terre cuite portraiturant la famille ducale. Des petites merveilles qui se regarderaient bien avec une loupe et qui saisissent les visages animés du duc Léopold de Lorraine (1679–1729) et de son épouse Élisabeth-Charlotte d’Orléans (1676–1744), nièce de Louis XIV. Le couple lui commande également d’imposantes figures de terre pour composer d’immenses crèches destinées à leurs enfants. Déjà, Jacob Sigisbert a le souci du réalisme et du détail, qualités qu’il transmettra à ses trois fils sculpteurs…

Jacob Sigisbert Adam, Buste du duc Léopold de Lorraine

Jacob Sigisbert Adam, Buste du duc Léopold de Lorraine, vers 1720

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Terre cuite • Palais des ducs de Lorraine – Musée Lorrain, Nancy • © Palais des ducs de Lorraine – Musée Lorrain, Nancy / Photo J-Y. Lacôte

Aussi talentueux que son père, voire davantage, son fils aîné, Lambert Sigisbert Adam (1700–1759), est en outre extrêmement ambitieux. Son obsession : égaler voire surpasser Le Bernin, maître du spectaculaire et de l’illusion au XVIIe siècle. Pour ce faire, rien de mieux que de suivre ses traces … En 1723, son talent déjà repéré, il devient pensionnaire à l’Académie de France à Rome et ne tarde pas à rencontrer le cardinal Melchior de Polignac (1661–1742), lequel devient son mécène et le recommande au pape. Ses missions ? Des restaurations de sculptures antiques, un travail colossal qui nécessitera l’aide de ses deux frères Nicolas Sébastien et François Gaspard Adam, venus spécialement à Rome. Mais aussi deux bustes de Neptune et d’Amphitrite que Lambert exécute avec génie, créant l’illusion de deux visages sortant de l’eau, les chevelures encore trempées accueillant quelques feuilles de roseau…

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Une fois rentré en France en 1733, il s’attaque à un ambitieux projet : Neptune calmant la tempête [ill. en une], dont il espère que la maîtrise dépassera celle du Bernin avec son imposant Neptune et Triton (1622–1623). Lambert Sigisbert a toute l’occasion de penser sa composition, lui qui travaille d’arrache-pied avec ses frères sur le groupe central du bassin de Neptune pour le parc du château de Versailles. Taillant le marbre avec virtuosité, l’artiste met en scène un Neptune en torsion, enjambant Triton dans un mouvement brusque, les muscles saillants, le regard grave. Sa draperie divine semble s’envoler, gonflée par le vent, alors qu’au sol jaillissent des coquillages remplis de coraux et de perles. Une prouesse baroque qui lui vaut son ticket d’entrée à l’Académie royale de sculpture ! Pourtant, son nom n’atteindra jamais la gloire méritée. Son style et ses sujets sont jugés dépassés. Le roi Louis XV en personne le lui fera comprendre en refusant l’achat de son buste pour lequel il a posé…

Nicolas Sébastien Adam, Monument funéraire de la reine Catherine Opalinska

Nicolas Sébastien Adam, Monument funéraire de la reine Catherine Opalinska, 1747–1749

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marbre • © Région Grand Est – Inventaire général/Ph.S.Durand

Tout aussi talentueux, Nicolas Sébastien Adam (1705–1778), cadet de la fratrie, participe également au bassin du parc de Versailles et au relief en bronze du Martyre de sainte Victoire, ornant la chapelle royale. Son parcours aboutit à son apogée en 1747 avec la commande du monument funéraire de la reine Catherine Opalinska, épouse de l’ancien roi de Pologne et du dernier duc de Lorraine Stanislas Leszczynski. Visible à l’église Notre-Dame-de-Bonsecours de Nancy, c’est une gigantesque composition, un « monument plein de génie et de la plus belle exécution » complimente l’historien Nicolas Durival, mettant en scène la reine à genoux sur son tombeau, le regard dirigé vers un ange qui l’amène au paradis, alors qu’elle a déjà déposé au sol son sceptre et sa couronne.

Nicolas Sébastien Adam, Prométhée attaché sur le mont Caucase, un aigle lui dévore le foie dit aussi Prométhée enchaîné

Nicolas Sébastien Adam, Prométhée attaché sur le mont Caucase, un aigle lui dévore le foie dit aussi Prométhée enchaîné, 1762

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marbre • 114 × 82,5 cm • Paris, musée du Louvre • © Musée du Louvre, Dist. RMN-Grand Palais / Pierre Philibert

Si son frère aîné complexifiait, ornait, rajoutait, « Adam le cadet », comme on le surnomme, tente plutôt de baigner ses personnages sculptés dans une douce lumière, lissant les corps tout en cherchant l’esthétique pure des drapés. Alors qu’il sait tout aussi bien donner forme à la souffrance et l’horreur : en 1762, il achève son Prométhée enchaîné, illustrant le mythe du Titan Prométhée se faisant dévorer le foie chaque jour par un rapace, punition de Zeus pour avoir volé le feu sacré de l’Olympe. Enchaîné à un rocher, Prométhée se tord de douleur sous la torture, la flamme tombant à ses pieds, dégageant de décoratives volutes de fumée. Le marbre n’est que mouvement et tension, rendant à merveille la texture de la roche, des plumes et des muscles. Prodigieux !

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François Gaspard Adam et Sigisbert François Michel, Mars

François Gaspard Adam et Sigisbert François Michel, Mars, 1764

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Marbre • Stiftung Preußische Schlösser und Gärten Berlin-Brandenburg, Potsdam • © SPSG / Photo Daniel Lindner

Le dernier frère, François Gaspard Adam (1710–1761), reçoit une tout autre destinée : après son voyage à Rome, il devient le Premier Sculpteur du roi Frédéric II de Prusse (1712–1786). Pour le château de Sanssouci à Potsdam, il exécute des figures mythologiques dont deux d’entre elles sont exposées au musée des Beaux-Arts de Nancy : Mars et Minerve, des personnages de presque deux mètres de haut ! L’occasion de tourner autour de ces colosses de pierre, d’en étudier les regards, les drapés, les torsions… Certaines de ses sculptures du château de Potsdam seront achevées par son neveu Sigisbert François Michel (1728–1811) qui lui succède après sa mort en 1761. Mais ce dernier rentre vite en France, traité de paresseux par le roi Frédéric II ! Avec son frère Pierre Joseph Michel (1737–1787), il exposera des petites sculptures en terre cuite, dans l’esprit de Boucher et de Fragonard, dans une veine galante où des femmes lascives s’endorment nues sur des divans. Les générations se suivent, les mouvements artistiques aussi…

Clodion, Léda et le cygne

Clodion, Léda et le cygne, vers 1782

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terre cuite • Musée de l’Histoire du Fer, château de Montaigu, Jarville. • © Photo J-Y Lacôte

Dernier membre de la dynastie et non des moindres : Clodion (1738–1814), de son vrai nom Claude Michel. Il est sans nul doute le plus célèbre de sa famille, lauréat du grand prix de sculpture, formé auprès de son oncle Lambert Sigisbert Adam puis à Rome où il s’inspire de l’antique, taillant délicatement le marbre pour le duc de La Rochefoucauld ou l’impératrice Catherine II de Russie. À Paris, il reçoit des commandes monumentales, orne des hôtels particuliers, satisfait sa clientèle d’aristocrates, de financiers, de marchands, d’amateurs raffinés… Parmi eux, le fortuné Jacques Onésyme Bergeret de Grandcourt (1715–1785), particulièrement attaché à ses animaux de compagnie. À la mort du chien de son épouse, il commandera à Clodion un petit mausolée à son effigie. Un bijou plein d’humour, parodie d’un monument funéraire néoclassique ! « Ninette » y est figurée étendue morte sous deux chiens en atlantes faisant les beaux, les pattes reposant sur des flambeaux de vie renversés.

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Clodion, Mausolée de Ninette

Clodion, Mausolée de Ninette, vers 1770

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terre cuite • Palais des ducs de Lorraine – Musée Lorrain, Nancy • © Palais des ducs de Lorraine – Musée lorrain, Nancy / Photo J-Y Lacôte

L’œil ne s’ennuie jamais. La dynastie des Adam, quel que soit le membre de la famille, a développé cette capacité à étonner, raconter et intriguer. Une virtuosité que l’exposition au musée des Beaux-Arts de Nancy retranscrit avec brio, juxtaposant les figurines, terres cuites, bustes imposants en marbre et sculptures géantes posées à même le sol. Un parcours à poursuivre au château de Lunéville, ce « Versailles lorrain » qui, ravagé en 2003 par un incendie, renferme quelques merveilles le temps d’une exposition : un autre Prométhée, sculpté cette fois par François Dumont en 1710, exceptionnellement prêté par Sa Majesté la Reine Elizabeth II ! Ou un miroir baroque tout juste retrouvé, devant lequel Élisabeth Charlotte d’Orléans faisait sa toilette publique… Pour une fantastique plongée dans l’histoire de la Lorraine.

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