Poussés par une lanceuse d’alerte, les parlementaires américains promettent de mieux réguler Facebook


L’ancienne cheffe de produit chez Facebook, Frances Haugen, était auditionnée par le Congrès après ses révélations sur les pratiques du géant pour attirer les jeunes utilisateurs.

«Le Congrès va agir.» «Il est temps.» Exhortés mardi par une lanceuse d’alerte, les sénateurs américains ont promis de mieux réguler Facebook, s’inquiétant de l’influence potentiellement néfaste de ses plateformes sur les jeunes utilisateurs.

«L’époque durant laquelle vous avez envahi notre vie privée, promu des contenus toxiques et utilisé des enfants et des adolescents est révolue. Le Congrès va agir», a lancé le sénateur démocrate Ed Markey lors de l’audition de Frances Haugen, ancienne cheffe de produit chez Facebook. Durant plus de deux heures, cette trentenaire au ton posé a étalé avec précision et de manière intelligible quelques-unes des pratiques du géant de Menlo Park (Californie) pour attirer les jeunes utilisateurs et augmenter sans cesse leur consommation de ses plateformes, Instagram en particulier. «Vous avez été un catalyseur pour le changement comme je n’en ai encore jamais vu et je travaille sur ces sujets depuis 10 ou 15 ans», a commenté le sénateur démocrate Richard Blumenthal.

VOIR AUSSI – Réseaux sociaux: Facebook et Twitter vont-ils renverser les Etats ?

«Nous avons encore le temps d’agir»

«Facebook est coincé dans une spirale dont ils ne parviennent pas à se sortir» a expliqué Frances Haugen, ingénieure qui a quitté Facebook en mai dernier après deux ans passés au sein de l’entreprise, devant les membres de la commission sénatoriale du Commerce. «Ils cachent ces informations parce qu’ils se sentent coincés. (…) Ils doivent admettre qu’ils ont mal agi, qu’ils ont besoin d’aide. C’est ce qu’on appelle la banqueroute morale.»

Pour étayer ses allégations, elle s’appuie sur les deux ans qu’elle a passés au sein de l’entreprise et sur des milliers de documents qu’elle a emportés avec elle au printemps dernier. Déjà présentés, pour partie, par le Wall Street Journal mi-septembre, ils montrent que les chercheurs de Facebook ont mis en évidence le fait qu’une partie des adolescentes utilisatrices d’Instagram sont encore moins à l’aise avec leur corps qu’elles ne l’étaient auparavant. «Nous avons encore le temps d’agir. Mais il faut le faire maintenant», a-t-elle exhorté. Et d’ajouter que «Facebook ne devrait pas être laissé libre de choisir la croissance, la viralité (…) aux dépens de la sûreté du public. (…) Ils financent leurs profits avec notre sûreté.»

«La responsabilité revient à Mark» Zuckerberg

L’audition de cette informaticienne de 37 ans intervenait au lendemain d’une panne gigantesque, sans précédent dans l’histoire du groupe, qui a mis hors service ses quatre plateformes, les réseaux sociaux Facebook et Instagram, ainsi que les messageries WhatsApp et Messenger. Tout au long de la séance a plané sur le Congrès l’ombre de Mark Zuckerberg, co-fondateur et PDG de Facebook, qui n’est pas intervenu depuis le début du scandale déclenché par Frances Haugen. Plusieurs sénateurs l’ont publiquement invité à venir répondre à leurs questions. «Mark Zuckerberg a un rôle unique dans l’industrie de la tech parce qu’il détient 55% des droits de vote de Facebook (58% en réalité). Il n’y a pas d’entreprise aussi puissante qui soit contrôlée de manière aussi unilatérale. Donc au final, la responsabilité revient à Mark. Et il ne rend de comptes à personne. Et Mark Zuckerberg est, dans les faits, le concepteur en chef des algorithmes», a déclaré à son propos la lanceuse d’alerte.

Lire aussi article :  L'Inde est-elle le premier pays au monde à avoir vaincu la pandémie ?

Au sujet de la version d’Instagram pour les moins de 13 ans, projet officiellement suspendu fin septembre, l’ingénieure a expliqué qu’elle ne voyait pas Facebook renoncer. «Ils doivent s’assurer que la prochaine génération est tout aussi investie dans Instagram que celle d’aujourd’hui.» Un porte-parole de Facebook a réagi, sur Twitter, en soulignant que Frances Haugen n’avait «pas travaillé sur la protection des enfants (chez Facebook) ou sur Instagram (…) et n’a pas de connaissance directe de ces sujets provenant de son travail chez Facebook». Concernant l’utilisation de ces deux réseaux sociaux par les mineurs en général, France Haugen «recommande fortement de relever l’âge limite à 16 ou 18 ans (contre 13 actuellement pour Facebook et Instagram)» précisant s’appuyer sur «les données d’utilisation problématique ou d’addiction sur la plateforme et la question de l’auto-régulation des enfants.»

Des filtres contre la désinformation supprimés

Frances Haugen affirme également que Facebook a supprimé, après l’élection présidentielle américaine, des filtres contre la désinformation pour favoriser une augmentation de la fréquentation de ses plateformes, qui ont ensuite été utilisées par des internautes pour préparer le rassemblement du 6 janvier à Washington, qui a mené à l’intrusion au Capitole. «J’ai pris l’initiative (de témoigner) parce que j’ai réalisé une vérité effrayante: presque personne en dehors de Facebook ne connaît ce qui se passe à l’intérieur de Facebook. La direction de la compagnie cache des informations vitales au public, au gouvernement américain, à ses actionnaires et aux gouvernements du monde entier.» «Facebook doit assumer la responsabilité de ses choix», a-t-elle réclamé, «être prêt à accepter de petits compromis (susceptibles d’affecter) ses bénéfices».

Agence de protection des données

Pour la lanceuse d’alerte, il faut imposer à Facebook davantage de transparence et de partage d’information, avec l’aide d’un nouveau régulateur dédié aux géants d’internet, à même d’appréhender la complexité de ces plateformes. «Il est temps de créer une agence de protection des données et de forcer (les géants de la tech) à rendre des comptes», a tweeté mardi la sénatrice Kirsten Gillibrand.

Lire aussi article :  S’appuyer sur des métriques

Facebook a multiplié les efforts pour tenter de contenir la polémique. «Si nous étions une société qui ne se préoccupe pas de sûreté, qui donne la priorité aux bénéfices, nous ne ferions pas ce genre de recherches», a fait valoir lundi Monika Bickert, vice-présidente de Facebook, au sujet des études internes montrant notamment que la santé mentale de certaines jeunes filles est affectée par Instagram.

VOIR AUSSI – «Ça craint, c’est le pire truc»: Facebook, Instagram, WhatsApp et Messenger sont restés inaccessibles pendant près de sept heures



Source link