Quelle mouche a donc piqué Marina Abramović ? Célèbre depuis les années 1970 pour ses performances radicales faisant l’éloge de l’immatériel, l’artiste serbe vient de lancer, à la surprise générale, une marque de produits de beauté et de bien-être, censés être le secret de sa peau fraîche et lisse et de son équilibre spirituel…
Créée en collaboration avec le docteur Nonna Brenner, médecin holistique et psychiatre qui a traité l’artiste contre la maladie de Lyme en 2017, la « Méthode de longévité Abramović », commercialisée sur un site dédié, consiste en un coffret à 530 euros, comprenant une crème hydratante au vin, au pain blanc et à l’acide hyaluronique (230 euros), une « goutte d’énergie » au raisin et à la canneberge, une « d’immunité » à l’ail, au miel et au citron, et une à la réglisse contre les allergies (50–60 gouttes par repas et environ 115 euros le flacon), le tout composé à 96 % d’éthanol. La première édition limitée comprend 8000 unités de chaque produit, avec des emballages conçus par l’artiste.
Une « philosophie qui transcende la superficialité », pour connecter « bien-être intérieur » et « beauté extérieure ».
Compte tenu du prix des produits, ses phrases de présentation blâmant le consumérisme paraissent bien ironiques : « Avec le développement rapide de la technologie, si nous n’embrassons pas la simplicité dans nos vies, nous sommes perdus », peut-on lire sur le site de la marque. « Notre besoin de consommer nous a consumés, et entretient toujours notre soif de nouveaux gadgets à acheter. […] J’ai conçu la Méthode Abramović pour m’aider et aider les autres à se recentrer sur ce qui est le plus important – vivre dans le présent, longtemps et en bonne santé ». Une « philosophie qui transcende la superficialité », pour connecter « bien-être intérieur » et « beauté extérieure », précise-t-elle.
Des ateliers promettant une « réinitialisation intérieure »
Il pourrait néanmoins s’agir d’une performance en prolongement de la Méthode Marina Abramović : un jeu de cartes qui brouillait déjà les frontières entre art, coaching en développement personnel et charlatanisme en demandant aux joueurs de s’adonner à des exercices étranges, comme retenir sa respiration ou embrasser un arbre. L’artiste propose même depuis quelques années, avec succès, des ateliers promettant une « réinitialisation intérieure » aux participants, qui n’ont pas le droit de lire, de manger, de parler ou d’utiliser leur téléphone durant cinq jours, tout en s’adonnent à des exercices de mouvement et de respiration. La gamme de produits pourrait ainsi s’inscrire dans un vaste jeu, voire même faire la satire d’initiatives comme Goop, site web et société de distribution de produits de bien-être et de santé lancée par l’actrice Gwyneth Paltrow en 2008 – sujet controversé du documentaire Netflix The Goop Lab.
Mais s’il ne s’agit pas d’une performance, le Dr Brenner serait-elle un gourou qui aurait manipulé cette adepte de la méditation, du chamanisme et de la voyance ? Ou est-ce Abramović elle-même qui, cédant à l’appât du gain, en est devenue un ? Le milieu de l’art s’interroge sur le web et les réseaux sociaux…