Les contes, légendes et autres récits dans lesquelles les studios Disney puisent leur inspiration sont parfois, pour ne pas dire souvent, très éloignés de leurs adaptations à l’écran, qui en atténuent logiquement la violence. Voici quelques exemples.
Depuis l’origine, les productions de la maison Disney se sont toujours évertué à se faire les championnes d’une morale vertueuse, porteuse de messages d’amour et de générosité; où le bien triomphe toujours du mal, où les personnages principaux deviennent les réceptacles de valeurs hautement positives et surtout universelles, devant trouver leur chemin jusqu’à l’enfant qui sommeille (encore) en chacun de nous. Des messages culminant avec une fin toujours heureuse bien sûr, à l’exception sans doute de la relecture de l’histoire de Pocahontas, qui ne termine pas sa vie dans les bras de John Smith.
Dans le vivier grouillant des inspirations des films Disney figurent en bonne place et naturellement les contes, de fées ou non, et piochent abondamment dans les écrits d’auteurs comme Charles Perrault, les frères Grimm; Hans Christian Andersen, l’auteur de La Petite sirène, pour ne citer que ceux-ci. Sans oublier bien entendu les légendes (avec Atlantide, l’empire perdu par exemple), la mythologie (Hercule)… Mais nombre de ces récits originaux comportent en réalité parfois une grande violence, de la cruauté, des passages carrément horrifiques même. Impossible -et c’est logique- pour Disney de conserver ces aspects sulfureux / polémiques, grand public oblige. A charge donc pour les équipes du studio de les édulcorer, ou de les supprimer, de modifier la fin, etc… Pour que l’oeuvre puisse rentrer dans les canons moraux de la maison aux grandes oreilles.
Voici cinq exemples de récits originaux, confrontés à leurs versions Disney, visionnables sur Disney+. L’idée n’étant évidemment pas de pointer tous les changements dans chacune des oeuvres, mais de pointer quelques éléments saillants.
Cendrillon (1950)
L’Occident connaît le conte folklorique de Cendrillon essentiellement grâce à ses différentes variations chez les auteurs Giambattista Basile dans La gatta Cenerentola, Charles Perrault dans Cendrillon ou la Petite Pantoufle de verre et par les frères Grimm dans Aschenputtel. Mais il existe de très nombreuses autres versions, notamment en Asie, et même, au Moyen-Orient, sous l’Antiquité. Tirant son surnom, au sens littéral du terme, de celle qui est salie par la cendre (« Cinder »), la version de Cendrillon des frères Grimm révèle que les ignobles belles-soeurs de celle-ci, Javotte et Anastasie, se coupent carrément les doigts de pied afin de rentrer dans la fameuse pantoufle de verre égarée par la belle, et se font même picorer les yeux par des colombes en signe de punition…
Dans une version allemande antérieure aux frères Grimm, les belles-sœurs sont condamnées à danser avec des chaussures de métal chauffées au rouge jusqu’à ce que mort s’ensuive… Dans la version des frères Grimm, le prince tente de retenir sa future promise s’échappant en faisant enduire l’escalier de poix. Dans la version de Disney, la parade a été trouvée en laissant partir l’héroïne qui perd sa pantoufle de verre sur l’une des marches. C’est quand même plus élégant… Quoi qu’il en soit, Disney s’est surtout basé sur la version du conte écrite par Charles Perrault. Si dans l’ensemble l’oeuvre est plutôt respectée, le studio a néanmoins fait un changement important concernant le personnage de la marâtre (alias Madame de Trémaine), et même à rebours par de la version de Perrault. Dans celle-ci, elle finit par devenir reconnaissante envers celle qui était sa prisonnière, là où Disney en fait un personnage cruel, sournois et cassant jusqu’à la fin, sans jamais faire montre toutefois de violence. Un choix artistique judicieux et intelligent, qui en fait un grand personnage mémorable.
Pinocchio (1940)
Par une nuit étoilée, le vieux Gepetto achève sa dernière création : un pantin de bois qu’il baptise Pinocchio. Avec l’aide de la Fée Bleue qui lui donne vie et de sa conscience Jiminy Criquet, la marionnette tentera de devenir un vrai petit garçon… Tout le monde ou presque connait le chef-d’oeuvre de Walt Disney, qui fut hélas un échec assez cuisant à sa sortie en salle à l’époque.
Pinocchio est basé sur une histoire intitulée Les Aventures de Pinnochio, chef-d’oeuvre de la littérature enfantine écrit par Carlo Collodi et publié entre 1881 et 1882 sous forme de série dans un journal italien. Dans cette oeuvre littéraire italienne qui est l’une des plus vendues au XXe siècle dans le pays, on retrouve le trio du film, à savoir le pantin, Gepetto et Jiminy Cricket, qui a un rôle bien moins important que dans le film Disney, et n’apparaît que dans le chapitre 4.
Dans le conte, Pinocchio est un affreux garnement, qui n’en fait toujours qu’à sa tête, ment tout le temps bien entendu et désobéit aux adultes. Pire, il ne semble tirer ou retenir aucune leçon de ses mésaventures. Il n’a aucun égard pour Jiminy Cricket, au point de carrément lancer sur lui un marteau, qui l’écrase. Radical. Plus tard dans son périple, il se brûle par mégarde les pieds : « Comme il n’avait plus la force de se tenir, Pinocchio s’assit sur un petit tabouret et posa ses deux pieds sur le fourneau afin qu’ils sèchent. Il finit par s’endormir, et ses pieds faits de bois commencèrent à brûler durant son sommeil. Lentement, très lentement, ils noircirent et se transformèrent en cendres. » Gepetto a beau lui construire amoureusement de nouveaux pieds, Pinocchio s’enfuit aussi sec de chez lui. Le pauvre Gepetto se retrouve même arrêté et emprisonné, après que Pinocchio ait affirmé que le vieil homme le maltraitait…
Autre changement important : le personnage de Monstro, décrit dans le conte comme une sorte d’énorme requin blanc, baptisé « l’Attila des poissons et des pêcheurs ». Dans la version de Disney, c’est une énorme baleine noire lorgnant vers Moby Dick. Une manière aussi pour Disney de glisser un clin d’oeil à la fameuse baleine de Jonas, qui apparaît dans les écrits de l’Ancien Testament.
On retrouve par ailleurs Jiminy Cricket plus tard dans le récit, cette fois-ci en tant que fantôme, qui tente (encore !) de dissuader Pinocchio de suivre les conseils d’individus louches, qui prétendent que le fait de planter dans le sol des pièces d’or peut faire pousser un arbre en or… Bien entendu, le pantin insupportable n’en a cure, au point de finir pendu par ces sinistres individus : « Ils se mirent à ses trousses et finirent par l’attraper. Ils attachèrent ensuite une corde autour de son cou, et le pendirent à un arbre en lui disant : « Lorsque nous reviendrons demain, tu seras mort et ta bouche béante, et c’est à ce moment là que nous prendrons les pièces d’or que tu as cachées sous ta langue ». A l’origine, cette fin, d’une noirceur folle, devait terminer le récit de Carlo Collodi. Mais le rédacteur en chef du journal dans lequel était publié le conte tiqua, au point de demander à l’auteur de revoir sa copie en changeant la fin, qu’il voulait plus légère et optimiste. De là l’idée de la fée bleue, qui sauve d’une mort certaine la marionnette.
La Belle au bois dormant (1959)
La princesse Aurore, victime d’un sort que lui a jeté la sorcière Maléfique, s’est endormie d’un profond sommeil dont le seul baiser d’un prince peut l’éveiller. Ses marraines, les fées Pimprenelle, Flora et Pâquerette, unissent leurs pouvoirs magiques pour aider le vaillant prince Philippe à combattre le redoutable dragon, gardien du château où dort Aurore..
Tout comme les exemples précédents, il existe là aussi il existe plusieurs variations de La Belle au bois dormant. Parmi les versions les plus célèbres figurent celle de Charles Perrault, publiée en 1697 dans Les Contes de ma mère l’Oye, et celle des frères Grimm publiée en 1812. La version de Perrault est fondée sur Soleil, Lune et Thalie de Giambattista Basile; un conte lui-même fondé sur un ou plusieurs contes populaires, publié à titre posthume en 1634 dans le Pentamerone, un recueil qui comprend également les premières versions connues de Cendrillon et du Chat Botté.
Dans le conte original de Basile, le sommeil de la princesse (qui se prénomme Thalie) n’est pas le résultat d’un sortilège mais est annoncé par une prophétie. C’est un roi – qui est déjà marié – et non un prince comme chez Disney qui tombe par hasard sur un château abandonné lors d’une partie de chasse. En errant dans les lieux, il découvre alors la belle jeune femme endormie. Malgré ses efforts, il ne parvient pas à reveiller celle qui est plongée dans un profond sommeil de 100 ans. Contrairement à la version de Disney où le baiser du prince charmant réveille Aurore, elle est violée pendant son sommeil dans le conte : « ivre de désir, celui-ci la porte jusqu’à sa couche, et, après avoir récolté les fruits de l’amour, la laisse allongée là. Il retourne ensuite dans son royaume et oublie longtemps l’affaire »…
Deux enfants naissent de ce viol, et l’un d’eux suce le doigt de Thalie, faisant ressortir l’écharde de lin qui la maintenait dans son sommeil léthargique. Plus tard, ce roi revient la retrouver à plusieurs reprises dans ce château et sa femme, la reine, devient soupçonneuse. Elle tente de faire manger les enfants de Thalie à son mari, puis de brûler Thalie – et d’utiliser ses cendres pour faire des lessives. C’est finalement elle qui trouve la mort… Entre cannibalisme, viol et autres cruautés plus ou moins raffinées, les studios Disney ont logiquement préféré s’arrêter au baiser chaste du prince.
La Petite sirène (1990)
Sorti en 1990 et signé par deux vétérans chevronnés du studio, Ron Clements et John Musker, La Petite sirène fut un gros succès pour la firme, avec plus de 274 millions $ récoltés au Box Office mondial. Nouvelle adaptation du célébrissime conte de l’auteur danois Hans Christian Andersen et paru en 1837, l’héroïne est devenue au fil des ans un symbole du rayonnement culturel du pays, au point qu’une statue de bronze (plusieurs fois vandalisée, hélas…) fut érigée en 1913 à l’entrée du port de Copenhague.
Dans le conte d’origine, la petite sirène fait un pacte faustien avec Ursula, la sorcière des mers, pour séduire son prince sauvé de la noyade après un naufrage. Celle-ci lui remet un philtre qui transformerait sa queue de poisson en jambes d’être humain. Pour prix de ce service, la sorcière exige de la sirène sa voix magnifique et elle lui coupe la langue : « Si tu échouais et que le prince en épouse une autre […], à l’aube de ce mariage, ton cœur se briserait et tu ne serais plus qu’écume sur la mer. » Non seulement le breuvage qu’elle est contrainte de boire la fait atrocement souffrir, mais ses jambes faibles lui donnent l’impression de marcher en permanence sur des lames de couteaux…
Comme un malheur arrive rarement seul, son prince charmant est contraint par son père d’épouser une autre femme, dont il tombe en prime éperdument amoureux. Afin qu’elle puisse redevenir une sirène, les soeurs de celle-ci lui apporte un couteau : « Si tu frappais au cœur le prince avec ce couteau, lui dirent-elles, tu redeviendrais sirène et pourrais vivre avec nous ». Mais la petite sirène est incapable de tuer son amour, et préfère se suicider en se jettant à la mer, finissant ainsi transformée en écume…
Autant dire que devant la tristesse du conte d’origine, et aussi sublime soit-il, on apprécie comme il se doit la version animée de Disney et sa fin plus heureuse. Alors que la sirène se résigne à devoir vivre loin du prince, le roi Triton, son père, réalise qu’Ariel aime véritablement (le prince) Éric, et la transforme alors en humaine pour toujours. Ariel et Éric se marient sous la bénédiction du roi Triton et partent en bateau vers l’horizon. Entre ses sidekicks attachants (le poisson Polochon et le crabe Sébastien) et ses musiques hyper entraînantes (Sous l’océan !!!), La Petite sirène version Disney se pare de vertues apaisantes, contrairement à son modèle d’origine, aussi illustre soit-il.
Rox et Rouky (1981)
Daniel P. Mannix. Autant dire qu’il y a à peu près 99% de chances que vous n’ayez jamais entendu parler de cet écrivain et journaliste américain, qui fut même un temps avaleur de sabre et cracheur de feu avant de s’engager dans la Marine durant la Seconde guerre mondiale. C’est à lui que l’on doit la nouvelle The Fox and the Hound, publiée en 1967, qui sera traduite en France sous le titre Le Renard et le chien courant.
Les studios en ont tiré un formidable et émouvant film d’animation sorti en 1981, le 24e de la maison, Rox et Rouky. Mais là où le trio de réalisateurs Richard Rich, Ted Berman et Art Stevens en font une ode à l’amitié entre un chien et un renard, certes malmenée et mise à l’épreuve lorsque le maître de Rouky le chien devient chasseur, le studio a pris l’exact contre-pied de l’oeuvre d’origine, infiniement plus cruelle.
Outre le fait que le personnage de la veuve Tartine est totalement inventé pour les besoins du film d’animation, les deux animaux sont en réalité ennemis, tandis que le livre narre la traque continuelle du chien de chasse, nommé en anglais Copper, tout au long de sa vie, pour attraper le malicieux renard, prénommé en anglais Tod. Les raisons de cette chasse ? D’une tristesse à fendre les pierres en deux : le jeune chien préféré du chasseur, Chef, taquiné par Tod, meurt après avoir rompu sa chaîne et poursuivi le renard qui lui tend un piège et le fait percuter par un train. La pauvre bête finit en charpie… Son propriétaire dédiera ainsi sa vie à sa traque sans relâche.
Chaque hiver, le chasseur se lance ainsi à la recherche de son ennemi à pattes et à poils. Il truffe même de plomb la compagne renarde de Ted, et gaze sa progéniture… Les années passent… Jusqu’à ce jour fatal où, au terme d’une traque d’une journée, le renard, épuisé, se laisse finalement attraper et tuer. Histoire de bien achever le lecteur, le chien Copper, désormais âgé, fini par être abattu à son tour d’une décharge de chevrotine derrière les oreilles par son propriétaire, avant que ce dernier ne parte en maison de retraite… C’est d’une tristesse insondable et infinie, épargnée par le studio Disney qui réserve à Rox et Rouky une fin plus heureuse, même si non dénuée d’une certaine amertume.