Balthazar, l’histoire oubliée du beau mage noir


Ils sont venus « de l’Orient », guidés par une étoile… Au Divin Enfant qui venait de naître à Bethléem, ils apportaient des présents, de l’or, de la myrrhe et de l’encens. Gaspard, Melchior et Balthazar : ce sont les Rois mages ! Sujet classique dans l’art européen, les visiteurs de l’Épiphanie (célébrée le 6 janvier) ont été, au cours des siècles, souvent représentés par les artistes. Si bien qu’il est impossible de ne pas croiser, en arpentant les salles des musées, ces fameuses scènes d’Adoration des Mages. Mais en remontant le temps, un changement interpelle : le mage « africain » n’a pas toujours été noir… Pendant plus de 1000 ans, Balthazar est blanc.

Qui sont les Rois mages ?

De ces personnages cités dans un épisode de l’Évangile selon saint Matthieu, on sait à l’origine peu de choses. Le texte du Nouveau Testament ne mentionne ni leur nombre, ni leur nom et encore moins leur titre de « Rois ».

Giovanni di Paolo, L’Adoration des Mages

Giovanni di Paolo, L’Adoration des Mages, XVe siècle

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Détrempe, Or • 0,27 × 0,23 m • The Metropolitan Museum, New-York • ©The Metropolitan Museum of Art, Dist. RMN-Grand Palais / Image of the MMA

Ce n’est qu’au IIIe siècle que leur présence va être interprétée comme royale en fonction des coûteux cadeaux qu’ils apportent à l’enfant Jésus – l’or manifeste la royauté du Christ, l’encens, sa divinité, la myrrhe – résine odorante servant à l’embaumement – symbolise la mort du fils de dieu. Et encore cinq siècles de plus pour que les noms de Gaspard, Melchior et Balthazar apparaissent dans un texte latin où ils sont décrits venus des trois continents connus jusqu’alors : à Melchior l’Europe, à Gaspard l’Asie et l’Afrique à Balthazar… Le message chrétien est universel. À la même époque, un moine érudit du nom de Bède le Vénérable mentionne que « le troisième, au visage noir, portant toute sa barbe, s’appelait Balthazar ». Mais loin de cette description dans lequel un roi noir participe au récit divin, en peinture comme en sculpture, Balthazar va continuer à être dépeint en homme blanc… Encore pour 1000 ans !

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Ce n’est qu’à la Renaissance que Balthazar apparaît en jeune Africain à la peau noire. Ce changement est le fruit d’une lente évolution. Car dès le Moyen Âge, où le culte des Rois mages devient populaire, Balthazar montre des traits et une chevelure qui le rattachent clairement à l’Afrique subsaharienne. En témoigne un exceptionnel bas-relief daté vers 1265–1268 de l’architecte et sculpteur Nicola Pisano pour la chaire du Duomo à Sienne, où Balthazar est accompagné de chameaux. Cette convention qui associe le mage à l’Afrique est perceptible dans quantité d’enluminures de la fin du Moyen Âge, quitte à l’associer à un page noir pour signifier son origine.

À la fin du XVesiècle, Balthazar change d’allure. À l’époque où la traite négrière est en plein essor, et que des êtres transitent entre l’Afrique subsaharienne, l’Europe et les Amériques, le mage est de plus en plus souvent représenté dans les scènes d’Adoration avec la peau noire. D’abord en Flandres, puis en Italie. En Europe, la présence d’esclaves mis au service des puissants va fournir des modèles aux artistes. Pour ces derniers, peindre une carnation noire est un défi pictural.

Andrea Mantegna, L’Adoration des Mages (panneau central du triptyque)

Andrea Mantegna, L’Adoration des Mages (panneau central du triptyque), 1464

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Détrempe sur bois • 76 × 76,5 cm • Galerie des offices, Florence • ©Akg-images / Rabatti & Domingie

Dans les tableaux d’Adoration des Mages, Balthazar prend aussi un sacré coup de jeune. De vieux barbu, il passe à un physique d’adolescent. Beau, richement costumé et parfois paré d’une boucle d’oreille, le jeune homme s’impose chez Hugo van der Goes, Hans Memling, Brueghel l’Ancien, Albrecht Dürer ou encore chez l’Italien Andrea Mantegna, qui officie à la cour de Mantoue, où des domestiques noirs sont au service d’Isabelle d’Este. Les historiens de l’art ont aussi noté la posture de Balthazar : mage le plus éloigné des trois de l’Enfant Jésus, il joue le rôle de « figure-repoussoir », procédé bien connu des peintres permettant de relier la scène religieuse au monde réel en ménageant dans la composition un effet de profondeur. Mais en se tenant à l’écart, le personnage semble aussi opérer une césure physique entre le monde occidental et l’Afrique.

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Pierre-Paul Rubens, L’Adoration des Mages

Pierre-Paul Rubens, L’Adoration des Mages, 1626–1627

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Huile sur toile • 2,83 × 2,19 m • Musée du Louvre, Paris • © Akg-images / Erich Lessing

Dans les siècles suivants, le thème de l’Adoration des mages continue d’inspirer les plus grands artistes qui exaltent avec dramaturgie la visée universelle du message chrétien, tels Vélasquez ou Pierre Paul Rubens, auteur d’une dizaine de tableaux sur le sujet au cours de sa carrière. Au XVIIIe siècle, Balthazar reste un modèle noir privilégié mais il n’est plus le seul à être représenté par les peintres. Les autres ? Des domestiques. Leur peau noire sert de faire-valoir à la blancheur de leur maître ou maîtresse auprès desquels ils posent et que l’on cherche à mettre en exergue… Au contraire, Balthazar incarne un personnage noble, « noir, imposant, majestueux, royal », selon Daniel Arasse qui, lui, voit plutôt, chez Brueghel l’Ancien, Gaspar dans la peau du mage africain (cf. « On n’y voit  rien  », 2000) : « Beau, traits fins, œil vif. Cadeau recherché. »



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