Douze hectares de vignes à Belle-Ile-en mer : le premier projet de vignoble professionnel d’envergure en Bretagne vient de recevoir le feu vert de l’administration, y signant le retour de la vigne à la faveur du changement climatique et de l’évolution de la réglementation.
Sur la plus grande des îles bretonnes, ce projet, « Les vignes de Kerdonis », tranche par l’expérience, y compris commerciale, du porteur de projet et surtout l’assise financière dont il dispose.
Les nombreuses autres vignes ou projets en Bretagne, souvent portés par des professionnels techniquement irréprochables, restent encore largement associatifs, artisanaux, voire d’initiative municipale comme à Sarzeau (Morbihan).
Bien qu’en agriculture biologique, Kerdonis, soutenu par les élus insulaires, est contesté notamment par une association qui entend saisir le tribunal administratif et une pétition hostile a recueilli sur internet près de 40 000 signatures.
Quatre hectares ont déjà été plantés et le reste devrait suivre par étapes sur les communes de Locmaria, où la vigne était cultivée autrefois, et de Bangor.
« Je viens depuis trente ans en vacances à Belle-Ile et j’ai toujours pensé que les conditions étaient réunies pour produire un très bon vin sur l’île », assurait, au printemps, dans un entretien à Ouest-France le gérant du futur domaine, Bernard Malossi.
En matière viticole, Bernard Malossi n’est pas le premier venu. Il gère de longue date le domaine de la Vallongue, appartenant à l’homme d’affaires Christian Latouche, PDG de Fiducial et 39e fortune française, selon le magazine Forbes. La Vallongue, avec ses 300 ha de garrigues et de rochers dans les Alpilles, produit notamment du vin, dont plusieurs AOP (Appellation d’origine protégée).
Porté financièrement par Christian Latouche, le projet à Belle-Ile est aussi de créer un vin haut de gamme avec un objectif de 70 000 bouteilles par an.
« Belle-Ile, c’est de la rentabilité assurée. Chaque vacancier aura envie de repartir avec une bouteille (…), c’est la stratégie de l’objet rare. Au début, le vin en Bretagne, à Belle-Ile ou ailleurs, ça va être ça », déclare à l’AFP Bernard Hommerie, cheville ouvrière de l’association pour la renaissance des vins bretons (ARVB) qui inclut la Loire-Atlantique.
Créée il y a une quinzaine d’années, l’association, qui « rassemblait jusqu’à présent une soixantaine de viticulteurs amateurs et hors-la-loi » en raison de la législation en vigueur jusque 2016, est un bon observatoire de l’évolution du monde du vin en Bretagne.
« Investir »
« Avant, l’ARVB c’était une bande de copains qui dégustaient leurs crûs et s’efforçaient de les améliorer. Maintenant, on a des gens qui viennent pour voir s’ils peuvent investir », dit-il, citant notamment le cas de « Bordelais catastrophés » devant les effets sur leur vin du réchauffement climatique.
Un réchauffement qui pourrait rendre le climat breton de plus en plus favorable à la vigne. Selon les projections d’un climatologue à Météo France, Franck Baraer, Rennes pourrait connaître dans 50 à 100 ans le climat actuel de Bordeaux.
Selon le recensement mené par l’association, au moins 25 projets professionnels, dont certains déjà concrétisés mais plus modestes qu’à Belle-Ile, sont en gestation sur la région.
Rien d’étonnant, rappelle Bernard Hommerie : « à l’époque romaine, la vallée de la Rance (qui se jette dans la Manche, ndlr) était couverte de vignes et, en 1850, le tiers de la commune de Redon (sud de l’Ille-et-Vilaine) était occupé par la vigne! » Mais à la fin du 19e siècle, le phylloxera est passé par là, entraînant la disparition d’une large partie du vignoble breton. Puis une législation très stricte a interdit la vigne dans de nombreux territoires, dont trois départements bretons. Jusqu’à une directive européenne du 1er janvier 2016 : la France peut désormais accroître chaque année ses plantations de 1 %, soit 8 000 hectares et ce, sauf exception, sur l’ensemble du territoire.
Même s’il faudra patienter quelques années avant de déguster le fruit de ces nouveaux arpents bretons de vigne, l’ARVB, qui tient son assemblée générale ce week-end, va connaître une petite révolution : « une association sœur va naître. Elle regroupera les vignerons professionnels de Bretagne », annonce M. Hommerie.
Dernier signe, s’il en fallait un : un lycée agricole du Morbihan propose, depuis la rentrée, la première formation viticole en Bretagne.