Mythes et tabous autour de la maternité
Tu ne le regretteras jamais
Avoir des enfants est un cadeau de la vie. Source de sens, de vie et de moments magiques, personne n’irait remettre en doute les joies de la maternité. Dans l’imaginaire collectif, la maternité est bien plus qu’une joie, c’est aussi une finalité pour les femmes. Leurs corps pouvant enfanter, leur vocation première est donc de devenir des mères.
D’ailleurs, une femme n’est vraiment « complète » et « elle-même » qu’à partir du moment où elle a mis au monde son premier enfant.
Cette vision de la maternité comme condition d’épanouissement de la femme est un mythe façonné sur un héritage religieux et culturel de milliers d’années.
Doucement mais sûrement, un autre son de cloche commence à être entendu. Toutes les femmes ne pensent pas que la maternité soit merveilleuse. Certaines regrettent même franchement d’avoir eu des enfants.
Pourquoi ? Parce qu’après un divorce, on se retrouve à élever seule les enfants, et que sa vie est mise entre parenthèses. Parce qu’on voulait vivre une vie d’aventure, mais qu’on n’a pas osé aller à l’encontre des attentes familiales.
Parce qu’on a pris conscience qu’avoir des enfants n’est pas qu’une joie, mais aussi une très lourde responsabilité, à laquelle personne ne nous avait préparé.
Le regret d’être mère comme tabou social et familial
Par peur du jugement de passer pour une mauvaise mère, dysfonctionnelle et égoïste, ces femmes n’en disent rien. De fait, le regret d’être mère est un tabou familial et social.
Un tabou est plus ou moins prononcé en fonction de la culture, de la religion et de la situation politico-sociale du pays. Par exemple, en France et aux USA, les choses évoluent.
Les femmes désireuses de renoncer à la maternité disposent d’un espace de parole pour expliquer leurs motivations. Une amie, ou la fille d’une amie, qui vous dit ne pas vouloir d’enfants, ne va pas vous choquer outre mesure.
Au lieu de la condamner, vous allez vouloir la comprendre. De même que les médias sont de plus en plus curieux et disposés à les entendre.
Ce qui n’est pas tout à fait le cas d’un pays comme Israël, où l’explosif contexte pousse une partie de sa population à la radicalité et au conservatisme. Des positions politiques qui enferment la femme au rang d’épouse, et surtout de mère.
Ce qu’Orna Donath déplore à double titre. Selon cette féministe confirmée, et docteur en sociologie de l’Université Ben Gourion en Israël, la pression sociale qui sacralise la figure de la mère, et en fait le destin de toute femme « normalement constituée » aboutit à des maternités contrariées, et des vies malheureuses.
En faisant de ces « mères coupables » le sujet de son étude, Orna Donath sort des clichés et des préjugés autour de la maternité, mais aussi de ces femmes qui regrettent d’avoir eu des enfants.
Car, contrairement à ce que l’on peut supposer par réflexe, ces femmes ne sont les égoïstes immatures que l’on imagine. Leurs histoires témoignent de l’exact contraire. En premier lieu, elles ont fait des enfants plus pour le bonheur des autres que le leur.
L’exigence sociale de faire des enfants
Faites des enfants qu’ils disaient
Qu’est ce qui a poussé ces femmes à faire des enfants ? 3 grandes tendances ressortent de leurs diverses réponses :
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Elles l’ont désiré en raison des avantages à obtenir le statut de mère.
Vous avez le sentiment d’avoir votre place et d’être utile au sein de votre famille et communauté. Ce que veulent alors, ces femmes, c’est de la reconnaissance et un sentiment d’utilité et de fierté ; la maternité devient alors un moyen, et non une fin en soi.
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Certaines sont juste devenues mères, sans y avoir même réfléchi, parce que la maternité fait partie de la vie, elle n’est pas un choix.
Nombreuses posent le diagnostic suivant : « Je voulais des enfants sur le moment, mais si j’avais su à l’époque ce que je sais aujourd’hui, je n’en n’aurai pas fait. »
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D’autres se refusaient à la maternité et l’avaient exprimé, mais à cause de la pression du conjoint (en menaçant de divorcer) ou de la famille, elles ont cédé.
Comment la société pousse les femmes à la maternité ?
Derrière chacune de ces tendances, le poids de la société se fait sentir. Orna Donath a décrypté les deux leviers sur lesquels joue la société pour conduire les femmes à la maternité :
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Une conception du temps linéaire.
Nous imaginons notre vie comme une ligne droite segmentée de moments : la naissance, l’enfance, le bac et le permis de conduire qui sont nos rituels modernes du passage à l’âge adulte, les études, le mariage, les enfants, l’achat de la maison et sa retraite. Pour qu’une vie soit bien remplie et jugée épanouissante, il est important de ne pas rater un de ces segments.
Il est normal de vouloir se marier, de construire une petite famille et de trouver un travail dans lequel on se sent bien.
Orna Donath n’hésite pas à dénoncer ce fallacieux cocktail, qui permet de perpétuer un ordre social qui ne bénéficie qu’à ceux qui détiennent le pouvoir dans la société. Pour ceux-là mêmes, il serait dangereux de laisser les mères exprimer un regret et dire que cela ne valait pas la peine de faire des enfants.
Le souci de ce point de vue, c’est qu’il réduit la femme à son unique fonction reproductrice, et c’est cela qu’expriment les mères qui regrettent leur maternité. Leurs familles les ont perçues comme des objets, alors qu’elles voulaient être traitées comme des sujets avec leur individualité, leurs rêves et leur ambition.
Un autre élément confirmant que ces femmes recherchent avant tout à être traitées comme des sujets, c’est la différence fondamentale qu’elles font entre la maternité et leurs enfants. Si elles détestent leur rôle de mère, aucune ne regrette l’existence de leurs enfants.
Regretter la maternité, mais pas les enfants.
Où se situe le regret ?
Les femmes qui se sont confiées à Orna Donath sur leur regret d’être mère reconnaissent volontiers que leurs enfants, adultes ou adolescents, sont de bonnes personnes. Elles les aiment, les admirent et ne leur veulent que leur bien.
Beaucoup reconnaissent également que leurs enfants ont contribué à les rendre plus matures, moins superficielles : elles ont appris la patience, le soin de l’autre, la véritable écoute et l’empathie. Comme quoi, regretter la maternité n’empêche pas d’être une bonne mère quand on a le sens des responsabilités.
Ce qu’elles regrettent avant tout, c’est de s’être effacées pour satisfaire les attentes de leur entourage, et plus tard de leurs enfants. Elles ont l’impression de vivre leur vie comme domestique, et non comme maîtresse de leur vie. Le regret peut il disparaitre ?
Dès lors, on peut se demander si un soutien social, financier et familial dont bénéficieraient les mères, pourraient les ramener au cœur de leur vie. Après tout, ne dit-on pas qu’il faut tout un village pour éduquer un enfant ?
Si l’éducation et la charge de l’enfant étaient réparties équitablement entre les deux parents , ou sur tout un village, évidemment que pour certaines mères les regrets s’atténueraient.
Alors qu’est-ce qu’une maternité heureuse ? N’est-elle juste qu’une question de condition ? Oui pour certaines, non pour d’autres, même si tout un village élevait l’enfant avec elles.
Ce constat est-il si surprenant ? Non. Il existe des femmes qui ne sont juste pas intéressées par la maternité, même si vous leur promettez la vie de château. Ce n’est tout simplement pas pour elles. Etant des individus uniques, il est logique que nous aspirions à des vies différentes, et que nous ayons d’ailleurs une idée différente de ce qu’est être une mère.
Penser la maternité autrement
Comme évoqué au début, la maternité est idéalisée, fantasmée, et donc déformée et erronée. On a fait de la maternité un rôle naturel pour les femmes. Ce rôle, de surcroit, est limité à une seule partition : celui d’une mère dévouée et soumise aux besoins des autres.
Peut-être est-il temps de penser la maternité autrement. Judith Stadtman, militante et activiste pour les droits des femmes américaines propose, pour bouleverser les codes, de sortir du rôle défini et de penser la maternité comme étant une relation entre un enfant et un adulte.
En tant que parent, notre mission première n’est pas d’incarner un quelconque rôle, mais d’aider les enfants à devenir des adultes épanouis et responsables. Et contrairement à un rôle que l’on doit suivre à la lettre, une relation s’établit en fonction de la personnalité, des besoins et des valeurs de chacun des protagonistes pour construire un lien unique avec l’autre.
Faire de la maternité une relation permet de se décloisonner du modèle de la mère-objet dévouée à sa famille, pour voir apparaitre de multiples manières d’être une mère.
Mais surtout, dans une relation, la mère n’est plus traitée comme un objet dévolu à la reproduction ou aux soins, elle devient un sujet à part entière, où ses besoins et désirs sont aussi pris en compte.
En clair, la mère redevient enfin maitresse de sa vie et de son corps.
Source : Orna Donath, « Le regret d’être mère », éditions Odile Jacob, 2019