Dans la chambre à coucher aux tentures opaques, la nuit, surgissent des êtres maléfiques. Une jument noire rompt le silence tandis qu’un incube, petit être démoniaque trônant sur le ventre de la vierge en blanc, suggère une terrible scène de viol. Le Cauchemar résume les angoisses de son créateur, dans une scène aussi insolite que morbide. La beauté endormie fait-elle alors partie du cauchemar issu des frustrations de Johann Heinrich Füssli (1741–1825) ? Ce gnome qui nous fixe, est-ce le peintre ? Est-ce le spectateur, coupable voyeur ? D’origine suisse, Füssli instigue avec William Blake le renouveau gothique en Angleterre. À l’ère des Lumières, où raison, vertu et modèle classique s’érigent en dogme, l’artiste ténébreux puise chez Shakespeare comme dans le folklore germanique et celtique de quoi réveiller son génie mélancolique, ne livrant dans ses écrits aucune clé de lecture.
Ce qu’il faut savoir
Le Cauchemar fait parler de lui dès sa première exposition à la Royal Academy de Londres en 1782, avant d’être rapidement copié et diffusé par la gravure. Celle de Thomas Burke distille à travers l’Europe cette graine féconde du romantisme noir. Conscient du succès de son œuvre, Füssli en peint une deuxième version au format vertical en 1790–1791, qui aboutit dans la collection de Goethe à Francfort-sur-le-Main. Image cathartique qui résume avec efficacité les pulsions les plus reptiliennes du Ça, l’œuvre devient une icône de la psychanalyse et Sigmund Freud en exposait une gravure dans son cabinet. Enfin, comme vision d’horreur intemporelle, Le Cauchemar ravit les cinéastes comme Éric Rohmer, qui en recrée la scène dans La Marquise d’O (1976).
Où la voir ?
Depuis 1955, l’œuvre originale est conservée au Detroit Institute of Arts dans le Michigan, l’une des plus importantes institutions américaines. Généralistes, ses collections couvrent une ère allant de l’antiquité mésopotamienne à notre temps, rassemblant des œuvres incontournables de Hans Holbein à Franz Marc en passant par Brueghel l’Ancien, Whistler et Rodin, pour ne citer qu’eux.
Johann Heinrich Füssli
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