Xavier Gens revient avec nous sur la saison 1 de « Gangs of London », série coup de poing ambitieuse crée par le metteur en scène de « The Raid », et dont il est l’un des réalisateurs.
Visible en France depuis le 15 novembre grâce à Starzplay, après avoir fait forte impression en Grande-Bretagne, Gangs of London est une série crée par Gareth Evans, réalisateur de The Raid et sa suite. Mais il n’est pas la seul metteur en scène de cette saison 1, puisqu’il y passe le relais à Corin Hardy (La Nonne) et Xavier Gens (Cold Skin). Lesquels ont pu imposer leur patte sur le récit, tout en conservant sa cohérence globale, comme nous l’explique le Français.
AlloCiné : Comment vous êtes-vous retrouvé impliqué sur cette série ?
Xavier Gens : Je connais bien Gareth Evans, qui est un pote. On se parle régulièrement de ce que chacun fait, et de notre envie de travailler ensemble. Et un jour il est arrivé avec l’idée de Gangs of London et m’a proposé de réaliser les épisodes 6, 7 et 8. On a cherché une cohérence narrative sur ce qu’il y avait à raconter dans ces trois épisodes, et je me suis embarqué avec lui. Ça m’a pris presqu’un an et demi de boulot en fait, soit le travail que je peux faire sur un long métrage. C’était beaucoup beaucop de taf, mais on est super contents de ce qu’il s’est passé.
Donc votre implication est allée au-delà de la mise en scène ?
Exactement. J’ai beaucoup travaillé avec [la co-scénariste] Lauren Sequeira sur l’épisode 6, et avec les auteurs de la writer’s room pour les deux suivants, qui étaient beaucoup plus sériels, là où le 6 est plus un huis-clos dans lequel on voulait créer quelque chose de particulier. Et sur celui d’avant, le 5, Gareth s’est fait plaisir (rires)
C’est bien résumé ! Et c’est ce que l’on ressent dans la série : que chaque réalisateur a son propre style, tout en conservant une cohérence dans le récit. On a le sentiment que vous avez eu une grande liberté sur vos épisodes respectifs.
Ah oui, vraiment. Le mot d’ordre de la production c’était de nous laisser faire ce que l’on voulait. Et c’était étonnant de pouvoir avoir cette latitude : on avait un fil rouge à suivre, avec des scénarios pré-établis, pré-écrits, mais il fallait que l’on s’approprie la série comme si c’était la nôtre. Et c’est quelque chose que l’on partage avec Gareth. On a vraiment ce plaisir d’échanger sur la série, de partager cette aventure, qui était une aventure commune. Donc on a vraiment donné le meilleur de nous-mêmes sur ce que nous avions à raconter, et on se poussait à essayer de trouver des morceaux de bravoure sur chaque épisode, on voulait trouver des trucs pour la mise en scène. On cherchait à trouver le truc en plus, qui va faire que l’on peut proposer quelque chose qui n’a pas été vu ailleurs dans les séries.
Le mot d’ordre de la production c’était de nous laisser faire ce que l’on voulait
Est-ce que c’était plus facile que votre travail sur « Crossing Lines », où vous étiez arrivé en pleine saison 2 ?
Crossing Lines c’est de la série anglo-saxonne grand public classique. En plus d’être une co-production entre la France, les États-Unis et l’Europe. J’avais quand même une certaine liberté, car la productrice Rola Bauer me faisait extrêmement confiance. J’ai pu faire un peu ce que je voulais, mais cela restait hyper balisé : on avait entre huit et onze pages à tourner par jour, c’était une série très dialoguée qui demandait de mettre beaucoup de choses en boîte dans la journée, là où sur Gangs of London on était plus proches de ce que l’on fait au cinéma. Le langage est complètement différent. Sur Crossing Lines, vous faites de la captation et essayez de mettre un peu de mise en scène quand vous avez un peu de temps. Mais il y en a peu, donc on ne peut pas en faire trop. Alors que sur Gangs of London on avait carte blanche et le mot d’ordre c’était « Cinéma ». On voulait amener du cinéma dans une série.
On a justement l’impression, quitte à tomber dans un cliché, qu’on ne raconte plus d’histoires comme celle de « Gangs of London » au cinéma, en matière de violence, de densité…
Bien sûr. Il y a vingt ans, Gangs of London serait devenu une trilogie au cinéma, comme Infernal Affairs par exemple. Aujourd’hui, c’est la série qui nous permet de faire neuf heures de cinéma en télévision. Ce qui nous donne la possibilité d’explorer ces choses, de développer un univers et des personnages, et de s’amuser à chercher, à créer. Le format est hyper intéressant et des mecs comme Nicolas Winding Refn ne veulent plus faire de cinéma car ils trouvent une sorte d’eldorado créatif en télé. Pareil pour David Lynch avec la dernière saison de Twin Peaks : dans l’épisode 8, il y a plus de cinéma en cinquante minutes que sur dix ans de rien. Et moi je préfère faire ça que d’essayer de faire un film d’auteur…
Après j’en produis, comme Papicha, qui a eu une belle carrière. Mais on a eu de la chance qu’il soit réussi, car combien de films comme ça restent au placard ? L’idée est de faire des films qui ont du sens et, en série, s’exprimer à fond, faire du genre… Faire ce qu’on aime en fait.
Êtes-vous inquiet pour le cinéma de genre ? Votre dernier film, « Cold Skin », est sorti directement en vidéo et le contexte actuel risque de pousser les studios à prendre encore moins de risques.
Non car il y a les plateformes maintenant. Si j’ai besoin de faire un film, j’irai voir une plateforme si je ne peux pas le faire pour le cinéma. Et pour ce qui est de Cold Skin, je suis même en train de réfléchir à en faire une série : je sais que c’est la grande mode aujourd’hui de réadapter des films, mais comme celui-ci n’a pas eu le public qu’il méritait au cinéma – alors qu’il a été plutôt apprécié par les gens qui l’ont vu – l’idée est de vraiment donner sa chance à cette histoire qui mérite d’être racontée. On réfléchit pour peut-être en faire une mini-série car on a une vraie possibilité, aujourd’hui, de pousser les choses et je suis très content de faire de la série. Sur Gangs of London, j’ai retrouvé une liberté d’expression que je n’avais pas eue depuis, justement, Cold Skin.
Vous évoquiez la recherche constante de morceaux de bravoure dans la série : y a-t-il eu une séquence plus mémorable que les autres ?
Oui, une scène assez simple dans l’absolu mais très compliquée en vrai : toute la discussion de la fin de l’épisode 7, entre les Wallace et les Dumani. Il n’y a pas loin de sept personnages ensemble, qui se parlent autour d’une table, donc il fallait caler les regards de chacun avec des champs-contrechamps, mais à faire dans les bons axes, sans oublier la progression émotionnelle de chacun pour arriver à l’explosion de Sean [Joe Cole] à un moment donné. C’était un vrai travail sur les acteurs, à la caméra, tout en étant suffisamment malin pour qu’il y ait de la mise en scène dans les cadres, alors qu’il s’agit de sept pages qui sont devenues quatre minutes de dialogues intenses. J’ai eu la chance d’avoir de super acteurs et je suis super content de ce que l’on a réussi à faire, car cette scène était, pour moi, la plus effrayante et la plus compliquée à faire. Et c’est au final celle dont je suis le plus satisfait.
Les scènes d’action et de violence, dans l’absolu, ne sont pas les plus compliquées à faire. C’est très simple. Celle dans laquelle un personnage meurt transpercé par une perceuse a été dure, sale à tourner : c’est moi qui cadrait à ce moment-là, et quand je voyais Sope [Dirisu] tenir la tête de son partenaire dans les mains, avec tout ce sang, il y avait quelque chose d’horrible à filmer. Mais c’est juste le sentiment de dégoût et le côté trash qui rendent tout ceci difficile. Si l’on parle de challenge personnel, c’est vraiment la séquence de l’épisode 7 qui se démarque.
Vous parlez de Sope Dirisu, qui est un acteur incroyable, entre ça et son film sur Netflix.
Oui, His House. Il est génial. C’est un super acteur que j’adore et qui s’est entraîné comme un dingue. Il n’est pas forcément sportif de base, et quand on voit ce qu’il fait dans la série, c’est dément : il a tout fait tout seul, il n’a pas de doublure. C’est quelqu’un qui s’est donné à 200%, et avec Gareth et Corin, on se dit qu’il faut qu’on milite pour que ce soit le prochain James Bond.
Tellement !
Mais oui, c’est lui le prochain Bond. Il le faut. On serait trop contents (rires)
Le travail sur les séries vous a-t-il appris des choses que vous n’aviez pas apprises en faisant du cinéma ?
La manière de travailler rapidement. Comme on a un plan de travail très serré, il faut savoir travailler rapidement, efficacement. J’avais travaillé avec un super producteur qui s’appelle Charles S. Carroll [sur Crossing Lines, ndlr], qui me disait que le plus important, c’était mon acteur. Il fallait d’abord que je pense aux comédiens puis, une fois que j’ai posé l’histoire et que je les ai filmés, là je peux faire de la mise en scène. C’est vraiment ce que j’ai appris, là où sur mes premiers films je me faisais d’abord plaisir (rires) On apprend énormément en faisant de la série, et on y trouve cette satisfaction. On peut y essayer des choses et pousser l’expérimentation.
Peut-on s’attendre à vous retrouver sur la saison 2 ?
On en parle, mais ce sera vraiment une question de planning. Là je produis le prochain film de Mounia Meddour [réalisatrice de Papicha, ndlr], ce qui va me prendre beaucoup de temps. Je produis également d’autres films, et j’en ai deux à moi – dont Le Fantôme de l’opéra. Donc ce sera une question de temps, mais j’adorerais retrouver les personnages.
Propos recueillis par Maximilien Pierrette à Paris le 4 novembre 2020