Le cycle du phosphore est bien différent de celui de l’azote, même si les deux sont apportés en tant que fertilisants sur les cultures. Il se mobilise plus difficilement dans les sols. Pour autant, la plante a mis en place des stratégies pour s’approvisionner de cet oligo-élément, indispensable à la vie.
« À l’inverse de l’azote qui peut se créer dans le sol avec les légumineuses, le phosphore est une ressource qui ne se crée pas, a entamé Philippe Hinsinger, chef du département Agroécosystème de l’Inrae, lors d’une conférence le 23 septembre au salon Tech&Bio.
Il ne peut s’agir que de transfert de fertilité d’un sol à un autre. » Cartes à l’appui, il évoque les transferts de phosphore d’une région du monde à une autre, entraînant des inégalités de fertilité. « Les phosphates naturels sont une ressource limitée et pourtant gaspillée depuis qu’ils sont utilisés comme fertilisant, c’est-à-dire depuis plus de 100 ans », souligne-t-il. En effet, 50 quintaux de blé à l’hectare représentent 14 kg de phosphore exportés. Au vu des quantités apportés par les agriculteurs, de l’ordre de 40 à 60 kg/ha en Europe, les doses utilisées sont bien trop importantes.
Aussi Philippe Hinsinger revient sur les trois leviers existant pour mobiliser le phosphore dans les sols afin de maximiser son utilisation.
Porter attention à la rhizosphère de la plante
Tout d’abord, certaines variétés de plantes vont pouvoir mobiliser plus facilement le phosphore de part leur développement racinaire et leur capacité à modifier le pH du sol. Ces caractéristiques sont d’autant plus intéressantes que les ions phosphates sont difficilement mobilisables dans le sol. En effet, ils sont souvent précipités et se retrouvent alors sous forme minérale (phosphates de calcium par exemple). La diminution du pH du sol entraîne leur dissolution, ce qui va les remobiliser et les rendre disponibles pour la plante.
« En apportant trop de fertilisants, nous avons sans doute contre-sélectionné ces plantes capables de chercher, par elles-mêmes, les éléments nutritifs dont elles ont besoin », explique-t-il. En effet, les chercheurs ont constaté que certaines plantes développent davantage leurs racines, riches en poils racinaires, entraînant une rhizosphère particulièrement développée. « Chez l’orge, certaines variétés présentent une rhizosphère dix fois plus importante que d’autres », rappelle-t-il.
Cultiver en association
Ensuite, Philippe Hinsinger insiste sur l’importance de faire des associations de cultures car l’effet est encore plus marqué. Il cite en exemple une expérimentation associant blé dur et pois chiche, en sol pauvre, où la mobilisation du phosphore par les plantes a été bien plus forte du fait de l’association.
Il prône également les rotations de cultures, favorisant une biodiversité, sous toutes ses formes, qui va mobiliser les différentes formes de phosphore dans le sol. Et pour finir, « l’un des derniers leviers, certes controversé, reste les bactéries et/ou champignons mycorhizes, relève-t-il. Il existe encore trop peu d’essais significatifs aux champs. Cependant, en Inde, des tests ont montré un effet positif significatif sur le rendement, dans un sol pauvre, avec un champignon associé à une bactérie du genre Pseudomonas ».
Au-delà de ces trois leviers, il insiste sur la méconnaissance actuelle des effets de la faune du sol (nématodes, protozoaires, vers de terre, etc.) quant à la mobilisation des ions phosphates. En effet, le phosphore est indispensable au fonctionnement des êtres vivants (membrane cellulaire, etc.) et se retrouvent aussi sous forme organique. Dans ce cas, seuls des enzymes, les phosphatases, peuvent le remettre en solution dans le sol pour qu’il soit disponible pour la plante ou d’autres organismes.