Palaces fermés, porte close chez les étoilés : le caviar français, comme tout mets d’exception, a été malmené par la crise sanitaire, et ses producteurs espèrent que les fêtes permettront de limiter la casse, en attendant de pouvoir bénéficier des dernières avancées de la génétique pour optimiser leurs élevages d’esturgeons.
« Le marché mondial progresse à peu près comme le marché français, une progression linéaire de l’ordre de 15 % par an. Ça, c’était avant la Covid, qui a un impact catastrophique sur notre secteur d’activité », constate, morose, Laurent Dulau, directeur général de Sturgeon, premier producteur français de caviar. Résultat, « un effondrement » du marché compris entre -20 et -30% de ventes cette année, selon M. Dulau, qui rappelle que les cafés, hôtels, restaurants et l’export « représentent les deux tiers des ventes des producteurs de caviar français », troisièmes sur le podium mondial avec 43 tonnes produites par an, derrière l’Italie (environ 50 tonnes) et surtout la Chine (environ 120 tonnes).
Ils espèrent limiter la casse grâce à la grande distribution, laquelle vend à elle seule, particularité hexagonale, 20 tonnes de caviar par an, « pour l’essentiel à Noël, dont la moitié de caviar français », indique le patron du groupe aquitain. Soit une part non négligeable des 43 tonnes de petits oeufs gris produites en France annuellement, pour un chiffre d’affaires côté producteurs de l’ordre de 28 millions d’euros.
Dans cette sinistrose économique, un rayon de soleil est toutefois venu ces derniers jours illuminer les bassins peuplés d’esturgeons de la Gironde. Garçon ? Fille ? Jusqu’à présent, les pisciculteurs devaient patienter deux, voire trois ans avant de pouvoir déterminer lesquels de leurs poissons étaient mâle ou femelle et dans ce dernier cas susceptibles de produire les précieux oeufs et donc de rentabiliser l’élevage. Mais une équipe internationale de recherche menée par le Leibniz-Institute of Freshwater Ecology and Inland Fisheries en Allemagne, en partenariat en France avec l’Inrae (Institut national de recherche pour l’agriculture, l’alimentation et l’environnement) et d’autres partenaires, « vient de découvrir une séquence d’ADN spécifique du génome des esturgeons de sexe femelle », a annoncé l’Inrae.
Détecter les esturgeons femelles
« Cette innovation est recherchée au niveau mondial depuis 20-30 ans », selon Pierrick Haffray, responsable de la cellule aquaculture du syndicat des sélectionneurs avicoles et aquacoles français (Sysaaf), partenaire du projet. « Là, le projet a vraiment bénéficié du travail des équipes de recherche les plus avancées au niveau mondial, dans ce domaine du contrôle du sexe chez les poissons », explique M. Haffray. Chercheurs allemands et français ont travaillé avec des homologues néerlandais, roumains, autrichiens et russes. Afin de « séquencer un génome très complexe », ces différentes équipes ont mis à disposition « des ressources génomiques de différentes espèces » d’esturgeons, explique M. Haffray.
« On a apporté des briques, des séquences du génome de différentes espèces d’esturgeons », explique à l’AFP Yann Guiguen, directeur de recherche au laboratoire de génomique et de physiologie des poissons de l’Inrae à Rennes. « Grâce à tout ça, on a réussi à débobiner la pelote de fil et à trouver ce qu’on cherchait », se réjouit-il. Il est désormais possible, chez de tout jeunes poissons, de « prélever très facilement un petit morceau de nageoire, faire une extraction d’ADN, génotyper l’animal et savoir quel va être son sexe futur », explique M. Guiguen. Actuellement, en pisciculture, les éleveurs « font de l’échographie individuelle, ce qui est extrêmement lourd, avec un taux d’erreur important », rappelle M. Guiguen.
« J’avais des yeux de Chimène pour ce programme. Le sexage est une vraie problématique économique », explique, enthousiaste, M. Dulau. Seul hic, si cette découverte est libre de droits, notamment parce qu’issue de la recherche publique, sa mise en application est pour l’instant plus coûteuse que les méthodes traditionnelles. « Mais le jour où le test sera moins coûteux et que sa mise en pratique sera plus simple, évidemment, on l’utilisera », assure M. Dulau, qui espère faire grimper la proportion d’esturgeons femelles dans ses bassins « d’ici trois ans, deux ans si on est chanceux ».