En bref
Photographe des années 1930, proche du surréalisme sans y être associé, Brassaï (1899–1984) est un formidable chasseur d’images. Paris est son terrain, la nuit est son moment. Filles de joie, scènes de bistrot, travestis et bars louches, l’artiste aime les lieux et les ambiances interlopes. Brassaï est aussi peintre et dessinateur, poète et humaniste. Ami de Pablo Picasso et d’Henry Miller, le photographe ne voulait qu’une chose, dit-il, « être libre ».
Il a dit
« Je suis persuadé que l’art est né non de formes inventées de toutes pièces, mais de celles auxquelles l’imagination pouvait donner une signification. »
Sa vie
Une jeunesse artistique en Hongrie puis à Berlin
Gyula Halász est né à Brassó, en Transylvanie (qui fait alors partie de la Hongrie), le 9 septembre 1899. Fils d’un professeur de littérature française, il suit son père à Paris en 1903–1904 et découvre avec émerveillement la capitale. En Hongrie, le futur Brassaï mène ses études à l’Université des beaux-arts de Budapest, puis s’installe à Berlin en 1921. Il y côtoie de nombreux artistes d’avant-garde tels que Vassily Kandinsky. Mais son désir le plus ardent est de retourner à Paris.
À Paris, la nuit
Brassaï arrive à Paris en 1923. Proche d’écrivains tels que Raymond Queneau, Léon-Paul Fargue, Robert Desnos et Jacques Prévert, il débute en tant que journaliste, principalement pour des revues hongroises. Dans ce cadre, il entre en contact avec le photographe André Kertész en 1926, qu’il accompagne parfois dans ses reportages. Sa propre pratique photographique débute en 1930. Gyula Halász aime déambuler dans la capitale endormie, aux côtés de son ami Henry Miller. Les deux hommes se fondent dans la nuit. Brassaï, qui adopte en 1933 son pseudonyme inspiré du nom de sa ville natale, n’a pas d’atelier. Il opère tel un œil noctambule, en chasseur d’images insolites. En 1932, paraît Paris de Nuit, accompagné d’un texte de Paul Morand. Cet album lui apporte une renommée immédiate.
L’esthétique de Brassaï : l’anodin étrange
Le sujet domine dans les photographies de Brassaï, construites par le jeu des lumières. L’artiste ne recherche pas de cadrages spectaculaires comme certains de ses contemporains. Brassaï capture des sujets anodins ou étranges, dont il cherche à percer l’intime, sans voyeurisme ni jugement moral. Il s’invite dans des bals homosexuels, dans des maisons closes, dans une fumerie clandestine d’opium. « L’œil de Paris », ainsi que le surnomme Miller, scrute aussi les traces gravées, les graffitis, sur les murs de la ville. Photographiés frontalement, dans des cadrages serrés, ils deviennent des témoignages poétiques d’une société anonyme. Brassaï, ferveur lecteur de Goethe, considère la nature, le vivant, comme le matériau de la création.
Des affinités avec les surréalistes
Brassaï partage avec les surréalistes une fascination pour la rue, le quotidien, les manifestations de l’inconscient. Son talent et sa personnalité sont convoités par André Breton, qui l’invite dans les réunions du groupe. Si Brassaï collabore à deux revues surréalistes, Minotaure et Labyrinthe, il ne se sent pas membre du groupe. Il est en revanche proche de Picasso, qui lui demande de photographier ses sculptures au château de Boisgeloup et dans son atelier parisien dès 1932. Les images sont publiées dans le premier numéro de la revue Minotaure en 1933, puis sous la forme d’un album intitulé Les Sculptures de Picasso en 1949.
Nouveaux horizons
Dès 1935, Brassaï collabore de façon régulière avec le magazine américain Harper’s Bazaar. Il mène aussi des recherches personnelles à travers le dessin, la sculpture, le film et l’écriture. Voyageant à travers le monde, et utilisant sporadiquement la couleur, Brassaï se rend aux États-Unis, en Grèce, en Turquie, au Brésil… En 1948, le photographe épouse Gilberte Mercédès Boyer et est naturalisé français l’année suivante. En 1957, il reçoit la médaille d’or à la Biennale de la photographie à Venise. Une première rétrospective de son œuvre photographique est organisée au Museum of Modern Art (MoMA), à New York, en 1968. En 1978, deux ans après la publication chez Gallimard du Paris secret des années 30, Brassaï reçoit le premier Grand Prix national de la photographie. Il décède à Beaulieu-sur-Mer le 7 juillet 1984.
Ses œuvres clés
Le Bal des invertis au « Magic-City », rue Cognacq-Jay, 1932
Dans les années 1930, Brassaï court les lieux interlopes de Paris. Il photographie l’un des plus célèbres bals de travestis (disparu en 1940). L’endroit, quasiment clandestin, est jugé scandaleux. Le photographe semble se fondre dans la foule, festive et costumée. Comme à son habitude, Brassaï ne pose aucun jugement. Il capture le réel, sans fard, mais toujours avec tendresse et poésie. Brassaï nous donne l’impression d’être avec lui, avec les danseurs, au cœur de leurs murmures, de leurs rêves et de leurs errances.
Avenue de l’Observatoire (phares), 1934
Cette photographie célèbre de Brassaï témoigne de son œil poétique sur le Paris nocturne. Bien que réaliste, la scène devient quasi fantastique en raison du brouillard qui enveloppe la ville. Les objets se muent en ombres, des silhouettes se dissolvent avec mystère. L’avenue de l’Observatoire devient un théâtre surréaliste, transfiguré par le silence, la solitude et les lumières de la nuit propres à la ville.
Pablo Picasso tenant la sculpture en bronze « L’Orateur », dans l’atelier des Grands-Augustins, Paris, en septembre 1939
Dès leur rencontre en 1932, une immense complicité naît entre Brassaï et Picasso. Cette collaboration se poursuit jusqu’à la mort du peintre catalan en 1973. De nuit comme de jour, Brassaï photographie l’artiste dans ses ateliers, face à ses œuvres. Le dialogue entre la sculpture et son créateur est intense. Brassaï relatera cette amitié dans un ouvrage, Conversations avec Picasso, publié en 1964. Picasso, qui encourage sans cesse Brassaï à reprendre le dessin, aime ses photographies « parce qu’elles sont véridiques », dit-il, lui apportant un nouveau regard sur sa propre création.