Une victime, deux enquêteurs, plusieurs suspects : avant de les retrouver dans le prochain James Bond, « Mourir peut attendre », Daniel Craig et Ana de Armas font équipe dans « A couteaux tirés », réjouissant film policier signé Rian Johnson.
ÇA PARLE DE QUOI ?
Célèbre auteur de polars, Harlan Thrombey est retrouvé mort dans sa somptueuse propriété, le soir de ses 85 ans. L’esprit affûté et la mine débonnaire, le détective Benoit Blanc est alors engagé par un commanditaire anonyme afin d’élucider l’affaire. Mais entre la famille d’Harlan qui s’entre-déchire et son personnel qui lui reste dévoué, Blanc plonge dans les méandres d’une enquête mouvementée, mêlant mensonges et fausses pistes, où les rebondissements s’enchaînent à un rythme effréné jusqu’à la toute dernière minute.
« A couteaux tirés » de Rian Johnson – Disponible sur myCANAL jusqu’au 18 décembre 2020
ÇA RESSEMBLE A QUOI ?
CORPUS CHRISTIE
A couteaux tirés n’est pas le récit de la façon dont certains fans de Star Wars s’en prennent à Rian Johnson sur les réseaux sociaux depuis 2017, déçus (et c’est un euphémisme) par ses Derniers Jedi et les choix qu’il y faisait pour tenter d’emmener la franchise de George Lucas vers d’autres horizons. Ce n’est pas non plus le remake du long métrage homonyme signé Lee Tamahori en 1998, dans lequel Alec Baldwin et Anthony Hopkins tentent de survivre en pleine nature, pourchassés par un ours, après un crash d’avion. Non, il s’agit d’une histoire originale qui semblera cependant familière à plusieurs (télé)spectateurs. Et pour cause : le réalisateur et scénariste s’attaque ici au « whodunit » (contraction de « Who has done it ? », soit « Qui l’a fait ? »), sous-genre du récit policier dans lequel il s’agit de découvrir le coupable d’un crime, et qui a notamment permis à Agatha Christie de devenir la reine du polar.
Et c’est justement le meurtre de l’auteur à succès Harlan Thrombey (Christopher Plummer), dans sa demeure le soir de ses 85 ans, qui lance l’intrigue. Tous les membres de sa famille, présents pour l’occasion, ont des mobiles et des têtes de coupables idéaux, et c’est dans une ambiance particulièrement explosive que le détective Benoit Blanc (Daniel Craig), engagé par un interlocuteur anonyme, est chargé de mener l’enquête avec ses méthodes bien à lui et son accent du sud des États-Unis, qui font immédiatement de lui un personnage haut en couleurs, à l’image du film lui-même. Depuis son premier long métrage, Brick, qui transposait les codes du film noir dans un lycée américain, Rian Johnson a plus d’une fois prouvé qu’il aimait s’emparer d’un genre (ou d’une franchise) pour le dépoussiérer sans lui faire perdre de son essence, afin que le public habitué ait le sentiment de le redécouvrir.
Devant sa caméra, le « whodunit » prend des allures d’enquête policière à priori classique doublée d’un portrait de l’Amérique de 2019, alors gouvernée par Donald Trump, dont les personnages incarnent différents archétypes issus de plusieurs générations. On y croise notamment un troll qui sévit sur internet (Jaeden Martell) ou une prétendue Social Justice Warrior (Katherine Langford), pour ne citer que deux exemples permettant d’ancrer le long métrage dans son époque, alors que le récit parle de racisme ou de lutte des classes entre deux indices. Que Benoit Blanc se retrouve à mener l’enquête aux côtés de Marta (Ana de Armas), aide à domicile du défunt issue de l’immigration, n’est bien sûr pas un hasard tant cela sert le propos de Rian Johnson dans ce jeu de massacre qui réussit à tenir la distance.
Lorsque le film s’ouvre avec cette image de la bâtisse inquiétante où se déroulera la majeure partie de l’action, sur fond de violons, l’influence d’Agatha Christie se fait ressentir. Puis les plans sur des masques et pantins renvoient à l’excellent Le Limier de Joseph L. Mankiewicz, et il est fait mention d’Harlan Thrombey comme d’un homme qui « vivait quasiment dans un jeu de Cluedo ». Les références sont présentes d’entrée de jeu, et A couteaux tirés capte très vite notre attention avec son mystère qui se développe en suivant les codes du genre. De l’introduction aux premières disputes familiales en passant par la présentation des personnages et l’irruption de Benoit Blanc dans le récit, Rian Johnson fait preuve d’une belle efficacité même si l’on se demande comment le réalisateur va pouvoir rester sur sa lancée pendant plus de deux heures. La réponse intervient très vite, lorsque le film prend un virage inattendu dont il vaut mieux en savoir le moins possible.
Sachez seulement que le cinéaste parvient à nous surprendre et nous sortir de la bulle intemporelle dans laquelle il nous a installés, alors que l’ensemble reste aussi trépidant mais devient plus acide et grinçant. Car A couteaux tirés n’oublie pas de faire preuve d’un humour aiguisé à intervalles réguliers, à travers un gag récurrent assez improbable autour de la santé de Marta, la théatralité du héros ou encore les méchancetés que s’envoient les membres de la famille de la victime, à commencer par Ransom, fils pourri gâté, imbu de lui-même et vulgaire, incarné avec une délectation évidente par Chris Evans, aux antipodes de son personnage de Captain America. Dans son sillage, tout le casting semble s’amuser (et nous avec), en jouant pour certains avec ce qu’ils incarnent dans la pop culture. Avant de faire équipe dans (au moins) une séquence à la fois glamour et musclée du prochain James Bond, Mourir peut attendre (repoussé au 31 mars 2021 en France), Daniel Craig et Ana de Armas forment un duo réjouissant doté d’une vraie alchimie.
A mi-chemin entre 007 et son braqueur de Logan Lucky, qui avait révélé tout son talent comique, l’acteur anglais crève l’écran dans la peau de ce détective qu’il pourrait de nouveau incarner dans les années à venir. Avec 311 millions de dollars de recettes dans le monde (pour un budget de 40), 1 121 649 entrées en France et un nomination aux Oscars (Meilleur Scénario Original), A couteaux tirés aura été l’un de succès de la fin 2019 sur tous les plans. Assez pour donner à Rian Johnson l’envie de remettre le couvert avec un deuxième épisode de cette franchise à la Hercule Poirot centrée sur Benoît Blanc. L’occasion pour le détective de faire face à un autre casting quatre étoiles dans ce qui s’annonce comme une toute autre histoire, et pour son interprète de s’offrir un autre personnage récurrent, après avoir remisé le smoking de James Bond au placard. Les paris sont d’ores et déjà ouverts quant au titre de la suite de cet opus malin et enthousiasmant, qui témoigne d’un vrai amour de son auteur pour le genre qu’il aborde sans le prendre de haut.
« A couteaux tirés », film policier et politique vu par Rian Johnson :
PLAYER