Aux États-Unis, le milieu de l’art soumis aux purges de Trump


Aux États-Unis, l’étau se resserre autour du monde de la culture. La répression brutale menée par le président Donald Trump contre tout ce qui a trait à la politique DEI (Diversité, équité et inclusion), ainsi qu’à la protection de l’environnement, touche de plein fouet le monde de l’art, entraînant la suppression dans les musées de nombreux programmes, et désormais l’annulation d’expositions. Une nouvelle ingérence du gouvernement dont l’Art Museum of the Americas de Washington vient de faire les frais…

Dérivée du latin aequitas (« esprit de justice, égalité, juste proportion »), l’équité est la vertu qui vise à instaurer l’égalité de droit malgré les différences de sexe, d’appartenance ethnique, d’orientation sexuelle, de religion, de capacités ou d’apparence physique, de statut social et d’origine géographique. Mais la politique américaine en la matière, visant à lutter contre les inégalités en soutenant notamment la discrimination positive, et que Joe Biden avait renforcée dès son arrivée au pouvoir en janvier 2021, est accusée par Trump d’être « corrosive, immorale et illégale ». Le 20 janvier 2025, quelques heures après sa prise de fonction, le président a donc signé l’« Executive Order 14151 », un décret pour « en finir » avec ces programmes DEI « radicaux et dépensiers », qu’il qualifie d’« immense gâchis d’argent public » et de « discrimination honteuse ».

Les termes « racisme », « égalité », « genre »… effacés

Les conséquences de ce texte ne se sont pas fait attendre. Immédiatement, les mots « racisme », « égalité », « genre », « équité », « diversité », « féminisme », « transgenre », « inclusion » et « injustice » (entre autres) ont été effacés des sites internet et bannis du lexique des organisations gouvernementales, tandis que les programmes, emplois et lieux gérés par le gouvernement (musées et universités compris) dédiés à la lutte contre les discriminations envers les Noirs, les femmes ou encore les personnes LGBTQIA+ ont été fermés ou supprimés.

Art Museum of the Americas, Washington

Art Museum of the Americas, Washington

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© Everyday Artistry Photography / Alamy / Hemis

Dès le 23 janvier dernier, la National Gallery of Art de Washington a été contrainte de mettre fin à tous ses programmes de diversité (présentés comme sa priorité en 2021) et de fermer son bureau d’appartenance et d’inclusion. Même chose, dès le 28 janvier, pour la Smithsonian Institution à Washington, qui regroupe 21 centres de recherche et musées de la ville, dont le National Museum of African American History and Culture.

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Des expositions annulées, la liberté des artistes remise en cause

L’Art Museum of the Americas vient ainsi d’annuler deux expositions consacrées à des artistes noirs et gays dont le vernissage était prévu ce 21 mars.

Des expositions considérées comme « DEI » commencent également à être supprimées. Situé à deux pas de la Maison-Blanche, l’Art Museum of the Americas vient ainsi d’annuler deux expositions consacrées à des artistes noirs et gays dont le vernissage était prévu ce 21 mars : « Nature’s Wild », du curateur Andil Gosine (spécialiste de la théorie queer et du droit colonial dans les Caraïbes), qui allait explorer les liens entre environnement, sexualité et justice, et « Before the Americas », organisée par la peintre afro-américaine Cheryl D. Edwards, explorant l’héritage de l’esclavage et de la diaspora africaine à travers une quarantaine d’œuvres d’artistes afro-américains, latinos et caribéens, parmi lesquels Wifredo Lam, Martin Puryear et Elizabeth Catlett (dont la rétrospective à la National Gallery of Art de Washington a, quant à elle, bien ouvert ses portes ce 9 mars).

Elizabeth Catlett, Sharecropper

Elizabeth Catlett, Sharecropper, 1952

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Linogravure en couleur sur papier japonais • 47 × 48.1 cm • © The Art Institute of Chicago / Art Resource, NY/ Scala, Florence

« On m’a demandé d’annuler votre exposition », aurait platement déclaré Adriana Ospina, la directrice du Art Museum of the Americas à Andil Gosine et Cheryl D. Edwards, comme le rapporte Libération. « C’est apparemment la direction du musée qui a annulé les deux expositions en pensant qu’elle le devait à cause du décret de Trump. Or, ce décret est sans doute très contestable sur le plan légal. On lutte contre les ordres illégaux par le droit […] Il est très inquiétant que les élites culturelles ne résistent pas […] Je suis très pessimiste pour les artistes américains », a déploré dans Libération la juriste française Agnès Tricoire.

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Des choix culturels de l’administration Trump bien orientés

Malgré la protestation en amont de 500 artistes, le National Endowment for the Arts (organisme fédéral qui soutient financièrement les artistes et institutions artistiques) a modifié début février ses règles d’attribution d’aides à l’aune du décret anti-DEI. Lors d’une rare tentative de résistance juridique, l’Union américaine pour les libertés civiles a porté plainte contre le NEA, au nom de quatre compagnies de théâtre engagées dans des problématiques LGBTQIA+ (Rhode Island Latino Arts, National Queer Theater, The Theater Offensive, et le Theatre Communications Group), à qui l’on réclamait dans leur dossier de demande de subvention de combattre « l’idéologie du genre et de rétablir la vérité biologique ».

William N. Copley, Sans titre (Think/flag)

William N. Copley, Sans titre (Think/flag), 1967

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Sérigraphie • 53 × 65,4 cm • Coll. Whitney Museum of American Art, New York • © Estate of William Copley / © Adagp, Paris, 2025

Face à ces bouleversements, certains musées comme le Stonewall National Museum of Art (Floride), dédié à l’histoire de la communauté LGBTQIA+, voient leur existence remise en cause, et se trouvent déjà en grand péril financier. D’autres organismes ont déjà été purement et simplement dissous ; c’est le cas du Comité présidentiel pour les arts et les lettres (PCAH). Une marque « d’hostilité proactive » du gouvernement « envers les arts et les sciences humaines », avait dénoncé un de ses membres dans le New York Times. L’administration Trump assure de son côté être l’amie des arts, mais se concentre sur des projets bien choisis, comme la construction d’un parc de sculptures représentant 250 « héros américains » prévu pour juillet 2026, à l’occasion des 250 ans des États-Unis.

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De nombreux domaines touchés

Le décret anti-DEI a eu de nombreuses autres conséquences drastiques, pas seulement circonscrites aux musées. Parmi elles, l’affaiblissement de nombreuses associations de lutte pour l’équité, la suppression des archives du Pentagone de milliers de photographies représentant des soldats afro-américains ou contenant le mot « gay » dans leur légende (terme traqué avec l’aide de l’IA, d’où la suppression absurde de clichés représentant le bombardier Enola Gay ou de personnes portant le nom de famille « Gay »), ainsi que l’interdiction de centaines de livres dans les bibliothèques des écoles gérées par le ministère de la Défense parce qu’ils promeuvent « l’idéologie de l’égalité face aux discriminations » – y compris de grands classiques de la littérature. Lundi 10 mars a aussi commencé l’effacement de la grande inscription en lettres jaunes « Black Lives Matter » (« les vies noires comptent ») peinte en 2020 suite à la mort de George Floyd sur le bitume d’une rue de Washington.

Scies à béton et marteaux-piqueurs sont utilisés pour démanteler la monumentale fresque « Black Lives Matter » peinte en 2020 près de la Maison-Blanche, à Washington, le 11 mars 2025

Scies à béton et marteaux-piqueurs sont utilisés pour démanteler la monumentale fresque « Black Lives Matter » peinte en 2020 près de la Maison-Blanche, à Washington, le 11 mars 2025

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© Chip Somodevilla / Getty Images North America / Getty Images via AFP

Sont également stoppées net les subventions aux programmes de recherche scientifique et médicale contenant un ou plusieurs termes figurant sur une liste de 200 mots bannis, dont « climat », « défavorisé », « victime », « trauma », « diversité », « équité » et « inclusion », mais aussi « femme » – qui désigne pourtant la moitié de la population. Tout cela alors que Trump a indiqué le 14 février s’inquiéter du respect de la liberté d’expression en Europe…



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