Publié
30/04/2024|Modifié 30/04/2024
Dans « Réseaux (a)sociaux » paru en 2021 aux éditions Larousse, Michaël Stora, psychologue et psychanalyste, spécialiste des addictions et du numérique, alerte sur les dangers de ces réseaux, en particulier pour les jeunes. Entretien.
Existe-t-il une addiction aux réseaux sociaux ?
Au-delà de la nomenclature, on s’accorde néanmoins à reconnaître une addiction au monde virtuel, non pas en fonction des heures passées devant un écran ou sur une plateforme, mais lorsque cet usage entraine une rupture des liens sociaux réels.
C’est paradoxalement parfois le cas avec les réseaux sociaux qui reposent sur l’économie de l’attention. Il s’agit de captiver l’utilisateur, de faire en sorte que le « bonheur numérique » l’emporte sur le « bonheur réel ». Les adolescents ne sont pas les seuls concernés : les plus connectés sont les 39-45 ans. Mais les jeunes sont peut-être les plus vulnérables.
À quels dangers ces réseaux exposent-ils ?
Le principal danger pour la santé physique est une utilisation qui empièterait sur les heures de sommeil. L’usage des réseaux sociaux pour prolonger les conversations avec les pairs est souvent perçu comme excessif par les parents, qui oublient généralement qu’ils monopolisaient, en leur temps, le téléphone filaire de leur domicile pour des conversations jugées interminables… L’excès est un des marqueurs de l’adolescence.
Mais les réseaux sociaux affectent aussi la santé mentale. Leurs algorithmes entraînent et encouragent des pratiques addictives, en proposant des contenus qui correspondent aux attentes d’utilisateurs. Ils enferment dans des bulles informationnelles, et exposent à la désinformation.
À un âge où on se construit, il est dommage de ne pas multiplier les points de vue contradictoires. Les réseaux sociaux participent à une polarisation des opinions, leurs bulles favorisent les clivages, entraînent le rejet et la peur de l’autre. Les positions nuancées ou modérées n’ont pas la cote.
Un autre risque des réseaux est celui de l’identification à des normes inaccessibles : depuis cinq ou six ans, ce sont les 18-30 ans qui ont le plus recours à la chirurgie esthétique pour ressembler à des filtres Instagram ou à leur avatar numérique. Quel miroir tendent ces plateformes ? À quelle image de soi renvoient-elles ?
Enfin, les personnalités les plus fragiles peuvent être soumises, sur ces réseaux, à des influences toxiques qui vont de la promotion du suicide au recrutement par des organisations terroristes, en passant par le cyberharcèlement. Les grandes plateformes ont la responsabilité d’investir massivement dans la modération des contenus. Elles doivent s’interroger sur leur responsabilité et la manière de protéger leurs utilisateurs.
Comment se protéger de ces risques ?
La principale responsabilité incombe aux plateformes. Le législateur doit peser sur elles, plutôt que de tenter de réguler la vie des familles. Méta dispose de 700 modérateurs de langue arabe pour 70 millions d’utilisateurs arabophones connectés sur Instagram et Facebook. Comment voulez-vous filtrer efficacement les contenus délirants ?
Je suis convaincu par ailleurs qu’il faut s’adresser à l’intelligence des adolescents, au lieu de vouloir contrôler leurs usages. En s’interrogeant avec eux sur l’idéalisation de la société, le culte de la performance, le consumérisme, l’injonction à la norme que véhiculent les réseaux, on les aide à développer un regard critique. Il faut faire attention de ne pas faire des écrans un coupable idéal : le numérique peut aussi être un formidable allié éducatif et intellectuel.