
Lorsqu’il peint La Truite en 1873, Gustave Courbet ne peut imaginer que cette nature morte sera, 150 ans plus tard, la précieuse archive d’un monde révolu. Cette espèce jadis si abondante dans la rivière de la Loue, traversant la Franche-Comté, région natale de l’artiste, connaît aujourd’hui un déclin massif. Conservé au musée d’Orsay, ce tableau fait partie de la centaine d’œuvres choisies par l’institution pour « raconter le climat » dans le cadre d’une opération d’envergure nationale, présentée ce mardi 21 janvier par le musée avec le ministère de la Culture.
Parmi les chefs-d’œuvre sélectionnés (regroupant des sculptures, peintures, photographies, dessins…), 49 seront exposés dans 31 musées situés dans toute la France, de mars à juillet 2025. Les autres feront partie d’un parcours thématique au sein des collections d’Orsay.
Gustave Courbet, La Truite, 1873
Huile sur toile • 65,5 × 98,5 cm • Coll. musée d’Orsay, Paris • © GrandPalais Rmn presse / Patrice Schmidt
Dans le même temps, le livre 100 œuvres qui racontent le climat sera publié en mars 2025. L’ouvrage réunit les textes de conservatrices du musée parisien et quatre experts du climat de renom : Jean Jouzel, Valérie Masson-Delmotte, Emma Haziza, Luc Abbadie. Ces derniers ont été invités à « mener une analyse du dérèglement climatique à travers les œuvres des collections du musée. »
Des « archives du climat »
1850 se révèle être une date clé pour le climat alors que la consommation d’énergies fossiles s’intensifie à cette période.
Des incendies ravageurs à Los Angeles au cyclone Chido à Mayotte, « l’actualité renforce notre conviction que les musées ont un rôle à jouer », affirme Sylvain Amic, président du musée d’Orsay et initiateur du projet à son arrivée à la tête de l’institution en avril dernier. Une proposition qui a tout de suite « fait écho aux préoccupations de l’équipe de conservation », précise Servane Dargnies-de Vitry, conservatrice peinture, rappelant qu’« il ne nous reste plus que cinq ans pour limiter le réchauffement climatique à 1,5 degrés ». Au lendemain de l’annonce par Donald Trump du retrait des États-Unis de l’accord de Paris sur le climat, le musée se positionne comme un allié pour les scientifiques qui alertent depuis des années sur le sujet car « la bataille pour le climat est désormais culturelle ».
Théodore Rousseau, Clairière dans la Haute Futaie, forêt de Fontainebleau, 1866
Huile sur bois • 28 × 53 cm • Coll. musée d’Orsay, Paris • © GrandPalais Rmn presse / Patrice Schmidt
Le musée Girodet, qui a bien volontiers rejoint l’opération du musée d’Orsay, a été victime d’une terrible montée des eaux en 2016.
Le sujet s’est imposé comme une évidence pour le musée national dont les collections débutent au mitan du XIXe siècle. 1850 se révèle être en effet une date clé pour le climat alors que la consommation d’énergies fossiles s’intensifie à cette période. Une multitude d’œuvres du XIXe et du début du XXe siècle – notamment des peintures de paysages – nous apparaissent ainsi aujourd’hui comme des « archives du climat », selon Servane Dargnies-de Vitry. On retrouve donc, parmi les 100 œuvres sélectionnées, des œuvres de Claude Monet, Gustave Caillebotte, Théodore Rousseau, Eugène Fromentin, Pierre Bonnard…
Les musées unis face au changement climatique
Au-delà du témoignage que constituent les œuvres d’art, les musées eux-mêmes font, très concrètement, les frais du changement climatique. À Montargis (Loiret), le musée Girodet, qui a bien volontiers rejoint l’opération du musée d’Orsay, a été victime d’une terrible montée des eaux en 2016. 90 % de ses collections ont été inondées. « Huit ans après, seulement 40 % des œuvres ont pu être restaurées », indique Sidonie Lemeux-Fraitot, directrice de l’établissement qui présentera une exposition de son précieux fonds Maximilien Luce tout en sensibilisant son public sur les risques du changement climatique.
Alfred Sisley, L’Inondation à Port Marly, 1876
Huile sur toile • 60 × 81 cm • Coll. musée d’Orsay, Paris • © GrandPalais Rmn presse / Hervé Lewandowski
« Les œuvres deviennent un espace d’échange et de débat pour tous et toutes, y compris les public les plus éloignés, qui sont aussi les plus concernés par le changement climatique », déclare de son côté Benjamin Foudral, le directeur du musée et du pôle Courbet à Ornans (Doubs). Une position approuvée par la ministre de la Culture Rachida Dati qui voit dans cette initiative nationale « une démonstration en acte » de la politique qu’elle souhaite défendre : « la culture à tous, pour tous et sur tout le territoire. » Le musée d’Orsay compte déjà réitérer l’opération l’année prochaine sur, cette fois-ci, la thématique du travail.
100 œuvres qui racontent de climat
Au musée d’Orsay et dans 31 musées de toute la France de mars à juillet 2025
Pour plus d’informations, rendez-vous sur le site du musée d’Orsay
Tous les jours, sauf lundi, de 9 h 30 à 18 h
Esplanade Valéry Giscard d’Estaing • 75007 Paris
www.musee-orsay.fr