Au micro d’AlloCiné en 2015, Claude Brasseur se livrait avec franchise et enthousiasme sur sa carrière riche de près de 130 films et de nombreuses séries télé. Bouffée nostalgique.
Rencontré au Festival du film policier de Beaune 2015, l’acteur Claude Brasseur nous avait livré sa vision de sa carrière, alors que le festival lui rendait hommage. Voici le compte-rendu de ce rendez-vous que nous avait accordé le comédien, garanti sans langue de bois :
AlloCiné : Votre carrière est assez éclectique, car vous avez participé à ce qui a été appelé le “cinéma de papa”, ensuite vous êtes passés par la Nouvelle Vague et vous avez tourné aussi bien avec Truffaut qu’Onteniente. Est-ce que c’est ce qui vous plait dans votre métier cette possibilité de pouvoir garder cet éclectisme ?
Claude Brasseur : J’ai toujours travaillé dans les trois disciplines qui nous sont réservées : théâtre, série, cinéma. Et j’en ai profité pour passer comme vous le soulignez de Godard à Onteniente, en passant par Costa-Gavras et tous les metteurs en scène que j’ai connus. J’ai aussi débuté avec Carné [dans Le Pays d’où je viens, NdlR], et c’est ce j’aime. Je n’aime pas être mis dans une case.
Cela se ressent vraiment dans votre carrière. J’ai récemment parlé avec Danièle Thompson, qui m’a dit de vous “il a une intelligence du texte absolument formidable, je dois dire que lorsque tout à coup il se met à jouer, on redécouvre son propre texte : il invente des choses qu’on n’imaginait pas”. Est-ce que c’est cela, la méthode Claude Brasseur ?
Ce n’est peut-être pas la méthode Claude Brasseur, mais j’ai remarqué que très souvent les auteurs ne se rendent pas compte de ce qu’ils écrivent. Et il y a une énorme différence entre la littérature et l’art dramatique. Dans la littérature, les mots sont très importants, mais je pense que dans l’art dramatique on s’en fout. Enfin c’est une façon de parler, il ne s’agit pas de changer le texte, mais je pense que les mots ont été inventés dans l’art dramatique pour cacher les pensées. Très souvent, une réplique veut dire autre chose que ce qu’il y a écrit. Personnellement, je ne pense pas du tout à ce que je dis, je pense à ce que ça veut dire.
Quand j’ai parcouru votre carrière, j’ai vu que vous aviez joué dans la série “Vidocq” des années 70, et très tôt on vous retrouve à l’affiche de polars comme “Le Cave”, “Il faut vivre dangereusement” avec Annie Girardot et c’est à cette période que vous décrochez votre premier César de meilleur second rôle…
Dans Un éléphant, ça trompe énormément.
Tout à fait. Et à cet instant du César, est-ce que vous vous dites : “je vais avoir un plan de carrière” ?
Non, je n’ai jamais eu de plan de carrière. Je suis très heureux de tourner Bande à part et je suis très heureux de tourner Camping. Par contre, par rapport aux récompenses (…), je trouve que contrairement à ce que pensent certains de mes camarades, les César, Molières et les hommages, ce ne sont pas des aboutissements mais au contraire je pense qu’il s’agit de départs. Lorsque j’ai reçu ma première récompense, le César dont vous parlez, pour moi ça veut dire “il va falloir que j’en sois digne”.
J’ai noté que vous aviez collaboré 5 films avec Francis Girod, c’est le cinéaste avec lequel vous avez le plus tourné, et je me suis naïvement demandé pourquoi ?
Comme avec Yves Robert avec qui j’ai fait deux films, immédiatement on se sent en famille. Pareil avec Marcel Bluwal, avec qui j’ai tourné les Vidocq, un Dom Juan de Molière avec Piccoli, deux Marivaux : La double inconstance et Le Jeu de l’amour et du hasard et c’est personnellement ce que j’ai fait de meilleur, il m’a mis en scène au théâtre avec Michel Bouquet… Ce qui est formidable c’est que l’on n’a plus besoin de se parler, on se comprend, et il faut que cela soit réciproque. Si Francis Girod a souvent fait appel à moi c’est que l’on était un peu de la même famille, qu’on avait des affinités.
Et ces collaborations idéales ont amené… (il coupe)
Mais on le voit bien entre De Niro et Scorsese aussi !
Tout à fait, plutôt dans le polar, comme votre carrière, qui en est aussi pleine. Et avant Détective de Godard, il y a eu La Guerre des polices… (il coupe)
Alors dans le polar il y a eu Vidocq, c’est quand même un polar, je jouais le chef de la police dans Le Souper, La Guerre des polices, La Crim’ de Labro, Détective, il doit y en avoir un ou deux autres. Ah et je n’oublie pas Sale comme un ange de Catherine Breillat.
On peut dire que c’est un genre qui vous a souri, puisque vous décrochez le César du meilleur acteur pour La Guerre des polices. Est-ce qu’on peut dire que malgré votre éclectisme, votre genre de prédilection c’est le polar ?
Non. Le polar est très important dans le sens que la littérature policière est la plus importante du monde, et le film policier aussi. Parce que ce sont des sujets qui sont le plus porteurs de symboles. Comme le western en Amérique : le bon contre le méchant. Mais ce n’est pas personnellement mon rôle de prédilection.
Et quel spectateur de polar êtes-vous aujourd’hui ?
Je suis plus intéressé par les metteurs en scène, et notamment américains. J’avoue que mes metteurs en scène préférés sont Quentin Tarantino, Sergio Leone, Sam Peckinpah. Je suis grand amateur de ce cinéma américain. Les films français ont du mal à me faire rêver parce que je revois tous mes potes donc j’ai du mal à croire à untel dans un polar quand je buvais un coup avec lui la veille. Mais devant le cinéma américain, je suis comme une midinette, prêt à faire signer un autographe à Clint Eastwood, De Niro ou Pacino !
Vous avez connu le plein boom du polar français dans les années 70 et 80, avec des représentations du genre multiples et énormément de sorties. Quel regard portez-vous sur ces polars en comparaison avec ceux qui sortent aujourd’hui ? Voyez-vous une évolution ?
Oui, mais ce n’est pas le polar qui a évolué, c’est la façon de travailler. Je pense que deux choses ont été importantes pour le cinéma en général : les clips et la pub. Maintenant, par l’intermédiaire des clips et des pubs, le public a été habitué à un autre montage. Avant, quand un personnage allait voir sa mère, on le voyait se lever, sortir, monter dans sa voiture, rouler, sonner à la porte et retrouver sa mère. Maintenant, un personnage va voir sa mère : pan ! On le retrouve avec sa mère. Le public a été éduqué à ces raccourcis de montage et à ces ellipses. C’est beaucoup plus nerveux. Alors que j’aime toujours voir les vieux polars en noir et blanc de Jacques Becker, qui est un de mes metteurs en scène favoris en France, tous les Grangier, les Verneuil, mais parfois j’ai envie de leur dire “la traversée de Paris en bagnole on s’en fout”.
Il y a une année qui représente parfaitement toute votre filmographie, c’est 1982. Vous tournez un film populaire avec “La Boum 2”, un polar adapté de Manchette avec “Légitime défense” et vous jouez “Guy de Maupassant” pour Michel Drach.
Haha oui, c’est vrai…
Et l’autre année importante c’est 2006, parce que vous avez Fauteuils d’orchestre de Danièle Thompson et Camping. Vous avez touché une nouvelle génération avec Camping, vous avez senti une évolution de votre public à ce moment-là ?
Entre Vidocq, , La Boum, les comédies d’Yves Robert, j’ai l’impression que le public m’a suivi. J’ai même joué les salopards dans un film de Girod qui s’appelait L’Etat sauvage. J’y jouais un abominable raciste, et c’est très agréable de jouer quelque chose qui ne correspond pas à ce qu’on est. Et c’est beaucoup plus facile (…) car si j’étais raciste, je lui chercherais des excuses, je mettrais la pédale douce, alors que là on peut en rajouter et j’me dis : “j’vais en faire une véritable ordure de c’t’enc… !” (rires).
Claude Brasseur était bien sûr le papa de Sophie Marceau dans “La Boum” :