Sacré retournement de veste… Après avoir scandalisé la communauté internationale en 2001 en détruisant à l’explosif les Bouddhas géants de Bâmiyân, les talibans, qui ont repris le pouvoir en Afghanistan en 2021, font désormais payer les touristes (58 centimes aux Afghans ; 3,20 euros aux étrangers) pour visiter les vestiges du site ! Plus étrange encore, alors qu’ils avaient fait sauter ces trois statues en haut relief du VIe siècle au nom de l’islam, arguant qu’elles étaient blasphématoires, et plus précisément une « horreur impie synonyme d’une religion pour dégénérés », les voilà qui affirment, vingt-deux ans plus tard, chérir le site de Bâmiyân en tant que part importante du patrimoine mondial à préserver…
« Il s’agit de l’héritage du monde entier »
Transformation radicale des mentalités talibanes ou comble du cynisme ? Quoiqu’il en soit (et bien que leurs opposants craignent toujours autant pour leur vie), les fondamentalistes islamistes d’aujourd’hui assurent être très différents de ceux qui, de 1996 à 2001, avaient réprimé les « impies » à force de tortures et d’exécutions, opprimé les femmes dans le sang, interdit la musique et le cinéma… et réduit en gravats des trésors du patrimoine mondial.
« Bâmiyân et les Bouddhas, en particulier, sont d’une grande importance pour notre gouvernement, tout comme ils le sont pour le monde », a ainsi assuré le 15 juin Atiqullah Azizi, vice-ministre de la Culture des talibans, dans une interview pour le Washington Post. « Il s’agit de l’héritage du monde entier », renchérit Mawlawi Saifurrahman Mohammadi, directeur des affaires culturelles de la province de Bâmiyân, qui exhorte les étrangers (chefs d’État compris) à venir visiter le site – ce dernier présentant encore, dans la falaise en grès, des vestiges de cellules de moines bouddhistes, et les niches vides où se trouvaient les grands Bouddhas de pierre, qui auraient autrefois été décorés d’or et de bijoux.
Un intérêt pécunier et politique
Au vu de leurs actes passés et présents, ces déclarations ont une saveur lunaire. Mais, en pleine déroute financière, les dirigeants islamistes ont compris l’intérêt pécunier et politique d’un tel revirement. D’abord, le tourisme pourrait fortement développer l’économie de la région de Bâmiyân, une zone agricole qui fait partie des plus pauvres du pays. Ensuite, montrer une meilleure image favoriserait le retour des investissements étrangers, suspendus par les sanctions internationales.
Cette stratégie va-t-elle fonctionner ? D’un côté, les gouvernements étrangers pourraient être tentés de saisir cette invitation pour sécuriser du mieux possible ce site classé au patrimoine mondial de l’UNESCO en 2003, que leurs archéologues ont déserté en 2021, et essayer d’encadrer la reprise du tourisme afin qu’elle se fasse dans le respect de la fragilité des lieux. Ce qui semble déjà en marche, puisque l’UNESCO a récemment lancé un projet de développement de la conservation du site, avec une centaine de travailleurs locaux.
Mais peut-on, d’un point de vue éthique, rentrer dans le jeu des talibans, alors même que le Conseil de sécurité de l’ONU vient de condamner, fin avril, leur interdiction faite aux femmes de travailler pour les Nations unies – décision qui ne fait que s’ajouter à une longue liste de droits fondamentaux retirés progressivement aux Afghanes depuis 2021 ?