J.V. comme Johannes Vermeer, mais aussi comme… Jacobus Vrel. Ils se ressemblent jusque dans les initiales, si bien qu’on les a longtemps confondus. En pleine année de « l’exposition du siècle », il était temps pour Jacobus Vrel d’avoir une exposition à son nom… Après une première étape au Mauritshuis de La Haye, le peintre est mis en lumière à Paris, à la fondation Custodia.
Mais qui est Jacobus Vrel ? Même le long travail de recherche sous-jacent à l’exposition, mené de concert par Cécile Tainturier de la fondation Custodia, Quentin Buvelot du Mauritshuis de La Haye et Bernd Ebert de la Alte Pinakothek de Munich ne pourra éclaircir son mystère : « Finalement, Jacobus Vrel reste énigmatique et nous ne connaissons toujours rien sur sa vie », annonce Cécile Tainturier. Outre trois occurrences de son nom dans l’inventaire de la prestigieuse collection de l’archiduc Leopold Wilhelm au XVIIe siècle, Vrel n’apparaît dans aucune archive. On connaît de lui quarante-quatre tableaux et un dessin : c’est plus que pour Vermeer, mais cela reste maigre…
Pourquoi fut-il si longtemps réduit au rang de suiveur, ou du moins de contemporain de Vermeer et Pieter de Hooch ? Le parcours de Vrel a généralement été placé dans la seconde moitié du XVIIe siècle : cela est dû au fait qu’une seule de ses œuvres, Femme à la fenêtre (conservée à Vienne), comporte une date, celle de 1654. Mais c’était sans compter sur la science ! D’une part, l’histoire de l’architecture a permis d’identifier les lieux peints par Vrel : l’artiste était actif à Zwolle. D’autre part, des analyses dendrochronologiques ont été menées sur les panneaux de bois peints. Elles ont permis de dater non seulement les abattages des arbres, mais aussi l’exécution des peintures et là, surprise : Jacobus Vrel a débuté sa carrière dès les années 1630 !
Emblématiques de la peinture hollandaise du Siècle d’or, les vues urbaines sont un des sujets phares de l’artiste. Scène de rue animée ne frappe pas seulement par sa précision topographique : les façades entrecoupées de fenêtres claires dessinent un rythme saccadé, à l’image de la vie des habitants du bourg. L’analyse des essences révèle que la scène daterait de 1633, soit un an après la naissance de Vermeer. Vrel n’est pas un suiveur : il est un précurseur, et même un inventeur !
Le peintre ne s’intéresse pas uniquement aux maisons et observe ses semblables qu’il dépeint non sans tendresse, avec un sens du grotesque le plaçant quelque part entre les Brueghel et Vermeer. Maître de la mise en scène, il compose par ses figures des situations humaines étranges évoquant jusqu’aux visions du surréaliste belge Paul Delvaux.
Les œuvres de Vrel sont aussi intéressantes parce qu’elles nous renseignent sur la vie quotidienne au XVIIe siècle. Femmes peignant un enfant, lisant ou préparant des crêpes, toutes dans des intérieurs dépouillés : autant de traits valant au peintre le surnom de « Vermeer du pauvre » par Jean Clair. Populaires autant que mystérieuses, simples autant que spirituelles, elles font de Vrel l’un des grands peintres du secret et du silence, et le rapprochent des intimistes danois du XIXe siècle, Vilhelm Hammershøi et Anna Ancher. Quentin Buvelot souligne la sérialité des tableaux, (Vrel produit des variantes d’un même motif), mais aussi la plénitude d’un grand mur blanc dans Intérieur, femme peignant une fillette, un garçon près de la porte (conservé à Détroit) : « C’est un peintre très moderniste, voire avant-gardiste ! »
À l’avant-garde de l’École hollandaise… L’exposition de la fondation Custodia est l’occasion de confronter les tableaux de Vrel aux peintures, gravures et dessins d’autres maîtres, qu’il s’agisse de pépites de la collection parisienne ou de prêts internationaux. Gerard ter Borch a ainsi repris le sujet cocasse de La Chasse aux poux, rognant sur l’intérieur pour donner plus d’ampleur aux figures. Les femmes lisant à la fenêtre n’apparaissent pas seulement chez Vrel et Vermeer, mais aussi chez Pieter Janssens Elinga. Même Rembrandt est représenté, par un dessin à la plume et au lavis : un touchant Intérieur avec Saskia alitée (vers 1640–1641), avec un de ces fameux lits à baldaquin contenus dans une armoire, comme ceux qu’a peints Vrel (Femme au chevet d’un malade, quatre versions).
Jacobus Vrel n’a rien d’un second couteau. C’est un chroniqueur de son temps et un authentique moderne, que l’ombre d’aucun génie n’écrase, comme le dit Quentin Buvelot : « On aurait pu redouter que la grande exposition de Vermeer à Amsterdam lui fasse ombrage, mais il s’est passé l’inverse : notre exposition au Mauritshuis a été un succès avec 47 000 visiteurs ! » Souhaitons à Jacobus Vrel le même accueil à Paris.
Jacobus Vrel. Énigmatique précurseur de Vermeer
Du 17 juin 2023 au 17 septembre 2023
Fondation Custodia • 121, rue de Lille • 75007 Paris
www.fondationcustodia.fr
Rein Dool. Les dessins
Du 17 juin 2023 au 17 septembre 2023
Dans l’espace inférieur de la fondation, l’artiste néerlandais Rein Dool (né en 1933) est mis en avant à travers une sélection de 58 dessins allant des années 1970 à nos jours. L’occasion de découvrir l’étendue du talent de ce dessinateur, tantôt maître de l’humour, optant pour un trait volontiers enfantin à la manière de ses contemporains de CoBrA, tantôt illusionniste, donnant à ses vues du parc de Dordrecht l’aspect de lithographies en noir et blanc par un travail méticuleux sur le fusain. De quoi faire deux découvertes en une visite !
Jacobus Vrel, peintre du mystère. Catalogue raisonné et commenté
Sous la direction de Bernd Ebert, Cécile Tainturier et Quentin Buvelot, La Haye, Hirmer Verlag, 2021.