« Presque toutes les céréales exportées via le corridor maritime ont été expédiées vers les pays de l’Union européenne », a déclaré Vladimir Poutine ce mercredi. Les chiffres du Centre de coordination conjointe d’Istanbul contredisent cette affirmation qui, pour Agritel, relève de la guerre psychologique.
Ces déclarations sont nettement nuancées par le décompte du Centre de coordination conjointe (CCC) d’Istanbul qui supervise le corridor maritime ouvert le 1 er août et dont les données, communiquées à l’AFP, indiquent que 36 % des exportations ukrainiennes ont été destinées à des pays européens – et non la majorité.
« Presque toutes les céréales exportées d’Ukraine sont envoyées non pas aux pays en développement et aux pays les plus pauvres, mais aux pays de l’Union européenne », a fustigé M. Poutine lors d’un forum économique à Vladivostok (Extrême-Orient russe).
« Tromperie », attitude « colonialiste » des pays occidentaux : les critiques du dirigeant russe mettent frontalement en cause l’accord signé fin juillet avec Kiev, sous parrainage turc et sous l’égide de l’ONU.
Arraché après des semaines de discussions pour éviter le scénario du pire – des « ouragans de famine » redoutés par les Nations unies en Afrique -, cet accord a permis d’ouvrir un couloir maritime pour les exportations agricoles au départ de trois ports ukrainiens de la mer Noire, pour une durée de 120 jours.
L’objectif commun affiché était de sortir plus de 20 millions de tonnes de maïs, blé et tournesol stockés en Ukraine. Pour Kiev, l’espoir est de revenir à des livraisons proches des niveaux d’avant-guerre, autour de 6 millions de tonnes mensuelles, en cumulant les transports par route, rail et mer.
« Guerre psychologique »
Où vont les céréales ? Selon le CCC d’Istanbul, en date du 7 septembre, 2,33 millions de tonnes de produits agricoles étaient sortis d’Ukraine. Un peu plus d’un tiers est allé à des pays européens : Espagne (15 %), Italie (7 %), Pays-Bas (5 %), Roumanie (4 %), Allemagne (3 %), Irlande et France (1 %) et Bulgarie et Grèce pour moins de 1 %.
« Le premier pays bénéficiaire est de loin la Turquie », avec 20 % des exportations totales, souligne Damien Vercambre, courtier chez Inter-Courtage.
« L’Espagne est le pays européen qui a le plus importé de maïs, pour compenser le manque d’aliment pour bétail lié à la sécheresse de cet été, suivi de l’Italie. Le maïs est le produit le plus exporté d’Ukraine parce qu’il restait de gros stocks à sortir », a-t-il expliqué.
« Pour le blé, les exportations sont faibles. La première destination reste la Turquie, suivie des pays les plus fragiles (Égypte, Soudan, Yémen, Somalie, Djibouti) », a-t-il dit.
S’il est difficile de savoir ce que deviennent les produits exportés une fois leur première destination de livraison atteinte, les experts soulignent que certains pays, comme la Turquie, importent du blé pour le transformer en farine puis l’exporter, notamment vers le Moyen-Orient.
Pour Arthur Portier, du cabinet d’analyses Agritel, la question de la destination des céréales n’est pas pertinente en soi : « Oui, une part non négligeable des céréales ukrainiennes vont en Europe : c’est nécessaire pour la stabilité des prix au niveau mondial ».
« Si l’on cesse d’importer en Europe, les prix vont flamber, ce qui aura un effet catastrophique pour les pays importateurs », explique-t-il. Moins de maïs en Europe (qui est importatrice nette) entraînerait un report de la demande du maïs sur le blé ou l’orge, ce qui ferait monter tous les prix.
Pour lui, les déclarations de Vladimir Poutine relèvent de la « guerre psychologique » : « Il est en train de dire : « Regardez, j’ai mis en place le corridor maritime, attendant en retour la levée de sanctions, mais les Européens ne jouent pas le jeu » ».
Arthur Portier estime « très difficile » de savoir si l’on est face à une menace concrète sur le maintien du corridor. Mais les marchés, qui « détestent les incertitudes » n’ont pas attendu pour réagir.
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— Arthur Portier (@PortierArthur) September 7, 2022
Sur Euronext, la tonne de blé s’échangeait mercredi après-midi à 331,25 euros pour une livraison en décembre (+12,5 euros depuis la veille). Le maïs était au même prix, pour livraison en novembre (+10,5 euros).
Des prix soutenus profiteraient à la Russie, premier exportateur mondial de blé, qui a commencé à écouler une récolte exceptionnelle, en hausse d’environ 25% par rapport à l’an dernier.