La pêche est-elle compatible avec les impératifs écologiques ? La récente crise, qui a vu pêcheurs et associations environnementales s’opposer frontalement, peut permettre d’en douter…
Pourtant, une pêche durable et moins dépendante du gazole est possible et même indispensable, selon des acteurs du secteur.
Manifestations devant le domicile de la présidente de Sea Shepherd, tirs de fusée sur l’Office français de la Biodiversité (OFB) à Brest, incendié le lendemain… Le dernier mouvement des pêcheurs a donné l’impression de positions irréconciliables entre pêcheurs et défenseurs de l’environnement, qu’ils soient militants ou agents de l’État.
« Au quotidien, ça se passe généralement bien », souligne cependant Sylvain Michel, représentant du personnel CGT au pôle marin de l’OFB à Brest. Selon lui, « il n’y a aucun doute sur le fait qu’on peut concilier la préservation des écosystèmes et la pêche : c’est même indispensable. C’est pas toujours des discussions faciles, c’est même parfois des négociations assez tendues mais on arrive à dialoguer et à construire des actions ensemble », développe-t-il.
« Si on veut qu’il y ait des pêcheurs, il faut un écosystème protégé. C’est la protection des océans qui fera qu’il y aura encore de la pêche. Et les pêcheurs y ont toute leur place », approuve Charles Braine, président de Pleine Mer.
Cette association, créée pour tisser des « passerelles » entre pêcheurs et organisations de défense de l’environnement, publie notamment une carte des circuits courts pour promouvoir la pêche locale.
En pleine crise de la pêche, Pleine Mer a critiqué le projet d’interdire, en 2030, le chalut et autres « engins traînants » dans les aires marines protégées (AMP), ce qui serait « un drame pour la pêche artisanale et une aubaine pour les lobbys de la pêche industrielle ».
« Il ne faut pas tout fermer d’un coup mais identifier les zones les plus importantes à protéger », souligne M. Braine, regrettant des AMP sans réelle protection, créées « pour faire du chiffre ».
« Abandonner massivement le chalut »
À terme, ces critiques n’empêchent pas de questionner l’avenir du chalut, une technique de pêche dévastatrice pour les fonds marins et très gourmande en carburant.
« Un kilo de poissons pêché au chalut consomme un à deux litres de gazole et émet jusqu’à 6 ou 8 kilos d’équivalent CO2, soit quatre à dix fois plus que les pêches au filet et au casier », développe Didier Gascuel, professeur en écologie marine à l’Institut Agro dans « La pêchécologie » (Editions Quae, janvier 2023).
« Il n’y a pas d’autre solution pour décarboner la flotte que d’abandonner le chalut massivement », explique-t-il à l’AFP, car les technologies de substitution au moteur diesel (électricité, hydrogène, etc.) « ne sont pas au point » et ne le seront pas à moyen terme.
Le chercheur suggère d’expérimenter la pêche en plongée pour la coquille Saint-Jacques dans la baie de Saint-Brieuc ou de pêcher la langoustine avec des casiers, « comme en Islande », dans certaines zones de la grande vasière, au sud de la Bretagne.
« La crise énergétique est une très bonne opportunité pour inciter à la transition », appuie M. Braine. D’autant que « les méthodes de pêche douces font des poissons de meilleure qualité. Le poisson est moins abîmé, il est mieux valorisé ».
Avec la hausse des prix du gazole, « la déchalutisation est un processus déjà engagé », remarque M. Gascuel. « Il est urgent de l’organiser plutôt que de le subir ».
Augmenter les maillages des filets permettrait aussi d’accroître la taille et donc la biomasse de poissons en gardant des niveaux de captures élevées, propose M. Gascuel, qui plaide pour accorder plus de quotas aux pêcheurs qui joueraient le jeu. « Ce n’est pas gagné d’avance », reconnaît-il.
Pourtant, certains professionnels pratiquent déjà cette « petite pêche réellement durable », comme Breandán O’Geallabhain, 35 ans, qui vit « très convenablement » en pêchant à la ligne de traîne, au large de Lanildut (Finistère).
Avec son « tout petit » bateau de 7 mètres, il consomme trois fois moins de gazole par kilo de poissons pêchés. « Ce qui fait que je peux gagner ma vie avec peu de volumes », sourit-il.