C’est l’un des grands événements artistiques du moment à Paris : les toiles du maître de l’expressionnisme abstrait Mark Rothko (1903–1970) s’exposent en majesté à la fondation Louis Vuitton jusqu’au 2 avril 2024. Une exposition magistrale qui réunit pas moins de 115 œuvres du peintre, de ses tout débuts figuratifs aux mythiques Color Field Paintings qui continuent encore aujourd’hui de magnétiser le public. Points d’orgue de ce parcours fleuve : la « Rothko Room » de la Tate de Londres, pensée par le peintre en 1969 et ici entièrement reconstituée, ou encore la confrontation de ses toiles avec les sculptures d’Alberto Giacometti – un projet inachevé pour l’UNESCO.
Marcus Rotkovitch, de son vrai nom, naît le 25 septembre 1903 dans une famille d’intellectuels juifs. Il ne terminera jamais ses études et c’est de manière fortuite, lors d’une visite dans un cours de dessin d’un ami, qu’il découvre sa vocation. Si, à ses débuts, le peintre représente des nus, des paysages, et surtout des vues urbaines du métro, il se dégage déjà de ses œuvres une certaine mélancolie. La montée du nazisme et les prémices de la Seconde Guerre mondiale vont provoquer chez le peintre, comme chez l’homme, un point de non-retour. « Étant donné le contexte, la présence rampante de la Shoah, la guerre, il se pose la question fondamentale de tout artiste : quel sujet pour la peinture ? », explique Suzanne Pagé, co-commissaire de l’exposition au côté de Christopher Rothko, fils de l’artiste.
« L’expérience essentielle du tableau »
« Je dois compléter : la tragédie, l’extase, la mort. »
Mark Rothko
À la fin des années 1940, les tableaux s’agrandissent et, avec la série des « Multiformes », « on voit le dessin disparaître au profit de formes beaucoup plus flottantes dans un grand champ chromatique », poursuit Suzanne Pagé. Mais la révolution intervient véritablement dans les années 1950, lorsque naît une nouvelle relation entre le tableau et le spectateur : on ne regarde plus le tableau, on le pénètre, on est immédiatement propulsé à l’intérieur. « À moins d’entreprendre le voyage, le spectateur passe réellement à côté de l’expérience essentielle du tableau », affirme Mark Rothko, nous invitant à vivre intensément le drame humain, le sentiment du tragique contenu dans sa peinture.
Selon Suzanne Pagé, « les œuvres de Rothko vous obligent. C’est très étrange. C’est comme un excès de tout, un excès tout d’un coup de conscience de soi. Alors évidemment c’est un paradoxe. C’est une œuvre complètement abstraite, totalement abstraite, et elle dit quelque chose qui ne se dit pas à travers la figuration. C’est un but que s’est fixé très clairement Rothko, exprimer les émotions humaines fondamentales : ‘Je dois compléter : la tragédie, l’extase, la mort.’ »
Des commandes qui consacrent son œuvre
Dans les années 1960, période de grand succès, Rothko répond à de prestigieuses commandes dont celle passée par l’entreprise Seagram, qui deviendra ensuite la « Rothko Room » à la Tate Modern de Londres. L’artiste y voit concrétiser son désir de créer un lieu tout entier dédié à sa peinture, selon les conditions d’expositions qu’il juge les plus propices à la contemplation de ses œuvres : un accrochage très bas et un éclairage tamisé. La commande par la famille de Ménil pour ce qui deviendra la chapelle Rothko à Houston marque la consécration de son œuvre et appelle l’artiste à se dépasser. Mais, peu après, Rothko tombe malade et doit se remettre d’une rupture d’anévrisme.
« Il se trouve qu’à ce moment-là, l’UNESCO avait demandé à Rothko une série de peintures qu’ils envisageaient d’accrocher dans un contexte où il y aurait une sculpture de Giacometti. Il a alors fait une série très bouleversante : ce sont des peintures à l’acrylique – c’est tout à fait nouveau à ce moment-là.
C’était la phase ultime de son œuvre en tant que peintre, aller vers quelque chose de moins expressionniste, vers quelque chose de plus radical et plus abstrait. » L’exposition de la fondation Louis Vuitton réunit cette série des « Black on Grey » et les sculptures de Giacometti pour rendre hommage à cette rencontre qui n’aura jamais eu lieu. Rothko met fin à ses jours le 25 février 1970 dans son atelier new-yorkais de Madison Avenue.
Texte : Florelle Guillaume
Du 18 octobre 2023 au 2 avril 2024
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Fondation Louis Vuitton • 8 avenue du Mahatma Gandhi • 75116 Paris
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