Figure emblématique du doublage en France, le comédien Dominique Collignon-Maurin a accepté d’évoquer à notre micro la situation « inquiétante » de l’industrie française
Comédien depuis plus de 65 ans au théâtre et au cinéma, Dominique Collignon-Maurin est par ailleurs l’une des figures emblématiques du doublage en France, avec une filmographie des plus impressionnantes qui l’a notamment amené à devenir la « voix » officielle de Nicolas Cage en version française. Alors qu’il s’apprêtait à participer à l’enregistrement du film Les Croods 2, le comédien a finalement décidé de claquer la porte pour dénoncer des conditions de travail de plus en plus difficiles du métier de comédien de doublage.
Contacté par nos soins, Dominique Collignon-Maurin a accepté de répondre à nos questions, l’occasion de dresser en sa compagnie un bilan sur la situation actuelle du doublage en France.
AlloCiné : Vous êtes depuis plusieurs décennies la voix française de Nicolas Cage et pourtant vous ne le doublerez pas dans le film Les Croods 2. Pouvez-vous nous expliquer pourquoi ?
Dominique Collignon-Maurin : Mon métier principal est le théâtre, je suis comédien, et il y a un secteur dans le métier de comédien que l’on appelle le doublage. Dans ce milieu, on pourrait d’une certaine manière me qualifier de bon ouvrier spécialisé. Je connais bien mon travail, cela fait 65 ans que je le pratique. À une époque, on m’a proposé un contrat en gré à gré, c’est-à-dire selon un tarif décidé en commun accord avec les producteurs au-dessus du tarif conventionnel.
J’ai doublé entre autres les voix de Nicolas Cage, mais aussi celles de Dustin Hoffman, de Roberto Benigni, de Kevin Kline…Au fil du temps, je n’ai plus doublé ces acteurs et je suis devenu malgré moi la voix attitrée de Nicolas Cage, ce qui en soit n’est pas bien grave, c’est normal, personne n’est propriétaire d’une voix. Pour autant ce gré à gré me permettait de vivre un peu plus détendu et aussi, surtout d’investir dans la production théâtrale. Des propositions de théâtre expérimental joué en dehors des circuits parisiens, en région avec des compagnons de théâtre, des comédiens qui ont le malheur mais aussi le bonheur de ne vivre que du théâtre. Malheur, car ils se retrouvent le plus souvent avec des retraites plus que modestes. Pour information, les comédiens de doublage, qui enchaînent publicités et séries, ont quant à eux des retraites beaucoup plus intéressantes.
J’ai donc été appelé pour enregistrer le film annonce des Croods 2 et tout le monde dans le milieu sait que je n’enregistre pas la voix de Nicolas Cage sans ce fameux gré à gré, par conséquent je n’ai pas ressenti le besoin de le rappeler avant de me rendre au studio d’enregistrement Dubbing Brothers.
Au moment de pénétrer dans le studio, j’ai trouvé un message sur mon téléphone m’informant qu’il n’y aura pas de gré à gré pour cet enregistrement pour cause de Covid-19. Je me suis donc retrouvé devant le fait accompli et cela pour une raison pour le moins spécieuse : la difficulté actuelle pour remplir les salles de cinéma et assurer la diffusion des films. Mais si les salles de cinéma ont moins de clients que d’habitude, au contraire les plateformes ont en revanche accueilli davantage de clients depuis le début de la crise avec un nombre d’abonnés en hausse. Ainsi invoquer le Covid-19 pour ne pas payer un comédien de 65 ans d’expérience n’était pas acceptable, j’ai vu rouge !
Entrant dans le studio j’ai immédiatement demandé à rencontrer le directeur de Dubbing Brothers qui m’a expliqué que la demande venait du client. En présence des autres comédiens venus enregistrer, j’ai clamé que tous ici y compris lui « baissaient leurs culottes devant les clients ». J’ai été fort désagréable, j’en conviens. J’estime pourtant n’avoir dit que la vérité. Je suis parti sans bien entendu enregistrer le film annonce des Croods 2. Pourquoi ai-je décidé de faire remonter l’histoire sur les réseaux sociaux ? Tout simplement parce que tout ceci n’est qu’un début. Un poisson commence toujours à pourrir par la tête, et en général, lorsque l’on se débarrasse des grandes gueules comme moi, c’est un message envoyé à la profession afin que chacun-une sache bien se tenir.
C’est la disparition du vivant qui est visé !
Faut-il s’inquiéter pour l’industrie du doublage en France ?
Il faut s’inquiéter pour l’industrie du doublage, comme d’ailleurs pour toutes les industries. Pour la petite histoire, vous savez que pas mal d’enregistrements en français sont délocalisés notamment en Belgique. Il y a quelques années, j’ai décidé de renoncer au gré à gré afin qu’un doublage puisse se faire en France, avec des comédiens français. Cela n’a pas changé grand-chose, sauf que l’on ne me reparla plus de faire ce type d’économie !
Lorsque l’on pense aux milliards que rapporte le cinéma, il y a comme, dans toutes les industries, une volonté des studios de minimiser les coûts à tous les niveaux pour assurer de meilleurs dividendes aux actionnaires. Sachez que la dernière revalorisation de nos salaires remonte à 2012, il n’y a rien eu depuis, et la situation est pire pour les directeurs artistiques.
Au-delà des salaires, les conditions de travail en particulier pour la TV et la vidéo se sont terriblement dégradées. Les directeurs artistiques ont des responsabilités de plus en plus grandes, alors que leur rémunération reste la même. On observe la disparition progressive de plusieurs métiers. Plus généralement c’est la disparition du vivant qui est visé !
Faut-il s’inquiéter pour le doublage ? Mais il faut s’inquiéter en général ; ce qui se passe actuellement est très grave. Il faut le dire, le clamer, le vivant partout dérange, il tend à disparaître et à être remplacé par des machines. De l’atelier à la fabrique, de la fabrique à l’usine et de l’usine à la robotique ! Des logiciels de voix synthétiques sont développés et il arrivera un jour (si ce n’est déjà fait) où un seul acteur pourra assurer toutes les voix d’un dessin animé uniquement par le biais de la technologie, et même un jour sans comédien.
La version française pourrait-elle totalement disparaître dans un futur proche ?
Cela existe dans les pays nordiques, en Norvège ou au Danemark ou l’enseignement de l’anglais commence très tôt et bien sûr aux USA notamment où il y a très peu de doublage. Donc c’est très possible, mais le constat pourrait être le même pour le cinéma plus globalement. Le cinéma en tant qu’art est en train de disparaître. Pas l’industrie du divertissement par contre, celle-ci s’étend inexorablement par le biais des plateformes en isolant encore plus les individus. Ici le doublage a encore de beaux jours, mais dans quelles conditions. En tout cas je n’en serai pas. Comme je n’y suis plus depuis longtemps pour ce qui concerne les séries ou la pub (sauf pour les Croods que j’aimais bien). Pour ma part si le doublage industriel se passe du vivant, il existera toujours des alternatives beaucoup plus ludiques que je ne développerai pas ici, ce serait trop long.
Pour finir, la question que posent des signaux comme – les gilets jaunes, le virus etc. – renvoie tout simplement à l’idée qu’il faudrait revenir à quelque chose de plus artisanal, de plus proche du vivant, de beaucoup moins industrialisé, moins massifié, moins individualisé, plus solidaire. Ceci afin de non seulement assurer joyeusement ensemble notre existence, mais aussi de commencer tout de suite à refroidir notre planète, à défendre la biodiversité dont notre espèce dépend.