Comment la Normandie a inspiré à Albert Marquet ses vues cinématographiques


Albert Marquet, Autoportrait

Albert Marquet, Autoportrait, 1904

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Huile sur toile • 46 × 38 cm • Coll. Mairie de Bordeaux, musée des Beaux-Arts • © Photo Frédéric Deval / Mairie de Bordeaux, musée des Beaux-Arts

Bien connu des historiens de l’art et des passionnés de peinture, Albert Marquet l’est beaucoup moins du grand public. Pourtant, l’artiste faisait partie du Cercle de l’art moderne avec Othon Friesz et Georges Braque, et peignait dans un style audacieux, frappant visuellement et immédiatement reconnaissable ! « C’est un artiste qui a vraiment le don de synthétiser ce qu’il voit. Avec Raoul Dufy et Pierre Bonnard, il fait partie des meilleurs paysagistes de la première moitié du XXe siècle », souligne Sophie Krebs, conservateur général du patrimoine et co-commissaire de l’exposition.

Alors, pourquoi est-il si méconnu ? « Marquet n’est pas quelqu’un qui impressionne techniquement, ou qui va peindre des choses farfelues. Il reste attaché au genre du paysage. Du fauvisme, auquel il prend part à sa façon, il ne garde que l’art de la synthèse et des aplats de couleurs, mais avec des teintes moins ostentatoires ». Ce drôle de fauve utilise en effet des couleurs bien moins stridentes que celles (qui font scandale au Salon d’automne de 1905) de Matisse, Derain ou Vlaminck, comme en témoigne la palette sourde de Notre-Dame sous la neige (1916), tout juste entré dans les collections du MuMa, qui conserve 14 toiles, 23 dessins et une estampe de l’artiste.

Amoureux du Havre

Affecté d’un pied bot qui l’empêche de jouer avec les autres enfants, ce fils d’un employé de chemins de fer bordelais se réfugie très tôt dans le dessin. Ne peignant quasiment que des paysages en plein air, l’artiste est comblé par ses voyages en Normandie, qu’il découvre en 1903, au lieu-dit de la Percaillerie (près de Flamanville), invité chez le peintre Henri Manguin (1874–1949). Malgré d’autres voyages en France et à l’étranger, Marquet ne cessera de revenir dans la région, où il fera en tout sept séjours.

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Albert Marquet, Notre-Dame de Paris sous la neige

Albert Marquet, Notre-Dame de Paris sous la neige, 1916

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Huile sur toile • 81 × 64,8 cm • Coll. particulière, donation au MuMa par Messieurs Rogelio Martinez de Federico et Serge Sadry, sous réserve d’usufruit • © Courtoisie Galerie de la Présidence, Paris

Sur l’une de ces toiles, il n’hésite pas à inclure une vespasienne au premier plan, partiellement coupée par le cadre comme sur une photographie !

En 1906, invité au Havre par le peintre Raoul Dufy (1877–1953), Marquet tombe amoureux de la ville, dont il tire cet été-là pas moins de dix-huit tableaux. L’artiste y peint son port, le bassin du Roi avec ses bateaux et ses jeux de reflets, ses fêtes foraines avec manège et baraquements, et ses farandoles de drapeaux tricolores du quatorze juillet. Sur l’une de ces toiles, il n’hésite pas à inclure une vespasienne au premier plan, partiellement coupée par le cadre comme sur une photographie ! Cheminées d’usine, grues, lampadaires… Marquet aime scander ses compositions de choses banales de la vie moderne, habituellement jugées peu pittoresques, et justement très présentes au Havre, célèbre pour son port industriel.

À bicyclette, chevalet sur le dos

Durant l’été 1906, de Trouville à Fécamp, Dufy et Marquet se déplacent ensemble à bicyclette avec leur chevalet sur le dos, et s’installent côte à côte pour peindre les mêmes vues. À Fécamp, Marquet peint une vue de la plage en diagonale avec, au premier plan dans le coin gauche, deux marins coiffés de bonnets à pompons. Séduit par Honfleur, il y reviendra en 1911 pour saisir en quelques coups de pinceau son charmant petit port avec son sémaphore et ses bateaux de pêche aux coques bariolées, qu’il cerne de noir pour créer un contraste fort avec l’eau claire.

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Il glisse souvent au premier plan de petites silhouettes noires de passants très vivantes, captées avec la verve d’un dessinateur de bande dessinée.

Déjà, les toiles de 1906 montrent une évolution par rapport au séjour de 1903. L’artiste simplifie, synthétise davantage ; soulignées par des lignes et des éléments noirs, les couleurs deviennent plus lumineuses, tandis qu’apparaissent quelques touches vives, notamment de rouge, pour attirer l’œil à certains endroits précis. Pour animer ses toiles, il glisse souvent au premier plan de petites silhouettes noires de passants très vivantes, captées sur le vif en deux ou trois coups de pinceau avec la verve d’un dessinateur de bande dessinée – ses dessins à l’encre de Chine lui ayant d’ailleurs valu d’être comparé au maître japonais Hokusai par les critiques de l’époque !

En 1912 à Rouen, Marquet (qui, sans être impressionniste, reprend certains thèmes chers à Monet, dont le travail en série) peint plusieurs variantes du quai de Paris, avec son matériel de déchargement et ses entrepôts de marchandises, toujours vu du même endroit. L’artiste anime ce paysage urbain de personnages, d’un panache de fumée, d’une voiture à cheval et de bateaux qui passent… Si bien que l’ensemble évoque une série de photogrammes !

Albert Marquet, Rouen, Quai de Paris

Albert Marquet, Rouen, Quai de Paris, 1912

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Huile sur toile • 65,3 × 81 cm • Coll. du Musée des Beaux-Arts, Lyon • © Photo Martial Couderette / Musée des Beaux-Arts de Lyon

Durant ses derniers séjours normands, Marquet multiplie à l’envi ses « trucs » favoris : ses tableaux, plus détaillés avec des traits plus fins, sont scandés d’un nombre croissant de réverbères et de petits passants, avec un intérêt nouveau pour les ombres portées. Chaque type de bateau est individualisé avec soin, ce qui lui vaut d’être nommé peintre honoraire de la Marine en 1945. Mais son séjour à Dieppe de 1937 marque la fin de son aventure normande car l’artiste s’éteindra en 1947, après s’être réfugié en Algérie de 1940 à 1945, en raison de sa signature d’une pétition antinazie.

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L’exposition se clôt sur une illustration éclatante du chemin parcouru depuis ses premiers paysages normands de 1903 : une représentation du quai de Southampton au Havre (Le Quai du Havre, 1934), dans laquelle il intègre un panneau publicitaire rouge, des grues, des lampadaires et des bateaux ressortant sur des aplats de couleurs, et ponctue le quai ensoleillé de passants réduits à de petits signes calligraphiques [ill. en Une]. Un final réjouissant qui semble nous plonger dans un plateau de cinéma !

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Marquet en Normandie

Du 22 avril 2023 au 24 septembre 2023
Dans le cadre d’Un été au Havre.

www.muma-lehavre.fr



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