« Van Eyck a rendu son image des individus autonomes si parfaite qu’elle devient autonome à son tour, en nous imposant de la voir, elle, plutôt que ce qu’elle montre, comme si le monde entier n’existait que pour aboutir à une image [… ]. Un nouveau destin de la peinture s’annonce chez celui qui, le premier, l’a portée à la perfection. »
L’essayiste et historien des idées Tzvetan Todorov (disparu en 2017) considérait la Vierge du chancelier Rolin de Jan van Eyck (vers 1390–1441) comme une œuvre clé de l’histoire de la peinture, marquant la naissance de l’individu et une attention nouvelle portée à la « dignité humaine ». C’est dans le duché de Bourgogne, dont Philippe le Bon avait déplacé le centre de Dijon vers Bruges, que la révolution picturale eut lieu. Virtuose de la nouvelle technique à l’huile capable de représenter toutes les nuances du monde réel, Van Eyck suscite l’admiration de Philippe le Bon qui le nomme peintre de cour et valet de chambre à son service, charge prestigieuse qu’il occupe de 1425 à sa mort. À la cour, l’artiste fait la connaissance du chancelier du duc, Nicolas Rolin, qui lui passe commande entre 1430 et 1435 de ce petit tableau dont la fonction fut double.
Une exposition passionnante organisée autour du chef-d’œuvre
« D’abord utilisé comme un objet de dévotion facilement transportable servant de support de prière à Rolin qui voyageait beaucoup, l’œuvre a aussi dès le départ été conçue comme un tableau épitaphe, chargé d’entretenir sa mémoire après sa mort », explique Sophie Caron. Conservatrice au Louvre, elle est la commissaire d’une exposition passionnante organisée autour du chef-d’œuvre, qui vient d’être restauré. Les opérations de nettoyage et les radiographies réalisées en amont ont révélé « des cavités destinées à fixer des chevilles, qui suggèrent que l’œuvre prenait place dans un dispositif de menuiserie complexe probablement réalisé après la mort de Rolin », poursuit-elle.
Au revers, une sorte de trompe-l’œil cosmique
Autre particularité, l’envers du panneau en bois (visible dans la scénographie) est une étonnante composition abstraite imitant la texture d’une pierre imaginaire, sorte de trompe-l’œil cosmique. Observer la peinture à la loupe, c’est aussi se plonger au cœur des enjeux créatifs et plastiques du XVe siècle. Entouré d’invités prestigieux, tels Rogier van der Weyden, qui a réalisé lui aussi un portrait de Rolin, et Jérôme Bosch, autre génie flamand, la Vierge du chancelier Rolin est accompagnée de cinq autres œuvres de Van Eyck dont la délicate Vierge de Lucques conservée à Francfort, prêtée pour la première fois, et l’Annonciation, venue de Washington.
Sans oublier une enluminure pour rappeler qu’il était aussi un miniaturiste de génie, capable de créer des paysages si minutieux qu’ils absorbaient l’œil et l’âme du spectateur. Décryptage d’un tableau qui fait la synthèse entre le profane et le sacré, le naturel et le surnaturel, le terrestre et le céleste
Revoir Van Eyck – La Vierge au chancelier Rolin
Du 20 mars 2024 au 17 juin 2024
Musée du Louvre • Rue de Rivoli • 75001 Paris
www.louvre.fr