À la basilique Saint-Denis, une expo photo ciblée par l’extrême droite


Près de six mois après son ouverture en septembre 2024, l’exposition « Nouvelles reines » de la photographe Sandra Reinflet (née en 1981), présentée jusqu’au 27 avril au sein de la basilique cathédrale de Saint-Denis, fait polémique. L’objet de la discorde : de grands portraits de femmes issues de l’immigration, dont deux portant un voile islamique.

Après que des groupes et militants d’extrême droite l’a violemment attaquée en la qualifiant de « propagande immigrationniste » « scandaleuse » et « blasphématoire », le collectif d’ultradroite Les Natifs est passé à l’action ce mardi 11 mars vers midi, en recouvrant trois des photographies de couvertures noires et de posters…

31 femmes en situation précaire mises en lumière

« Ces femmes, par leur résilience, leur courage et leur détermination, sont les reines d’aujourd’hui. »

Pour ces 31 portraits de « nouvelles reines » commencés en 2023, la photographe et autrice est allée à la rencontre de femmes en situation précaire, dans différentes structures sociales de Saint-Denis et d’Aubervilliers (Seine-Saint-Denis), qu’elle a immortalisées une à une, illuminées sur fond sombre. Projetés sur leur peau, les vitraux de la basilique les parent d’étranges tatouages aux couleurs chatoyantes qui évoquent des ailes de papillon, des parures royales ou des apparitions mystiques. En complément, des textes racontent le parcours de chacune.

Exposée en majorité dans la crypte, dont l’entrée est payante, la série a été conçue pour faire écho aux 32 reines de France inhumées dans la basilique, de la belle-fille de Clovis, Arégonde, à Marie-Antoinette, épouse de Louis XVI – le 32e portrait étant celui que les visiteurs peuvent prendre d’eux-mêmes dans un espace aménagé. L’artiste a ainsi souhaité « mettre en lumière ces femmes qui, par leur résilience, leur courage et leur détermination, sont les reines d’aujourd’hui », lit-on sur le site de la basilique cathédrale.

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Une exposition prise pour cible par l’extrême droite

« Portrait » exposé à « Nouvelles Reines » de Sandra Reinflet à la basilique Saint-Denis

« Portrait » exposé à « Nouvelles Reines » de Sandra Reinflet à la basilique Saint-Denis, 2025

Mais l’événement a déclenché la colère de certains. Un « hommage aux immigrées clandestines et aux femmes voilées qualifiées de ‘nouvelles reines’. Quand l’humiliation cessera-t-elle ? Quand comprendront-ils que le voile est un symbole de soumission ? Quand laissera-t-on notre patrimoine et les chrétiens tranquilles ? », s’est insurgé, le 28 février sur le réseau social X, le collectif Némésis (constitué en France en 2019), qui rassemble des militantes d’extrême droite identitaires se revendiquant d’une tendance féminationaliste. Un certain nombre d’internautes, ainsi que des médias d’extrême droite comme Fdesouche, ont alors eux aussi attaqué cette mise en valeur, dans une église et un haut lieu patrimonial, de femmes issues de l’immigration, « parfois sans emploi ou sans papiers, certaines portant le voile islamique », a insisté le JDD.

« Le moment venu, on se souviendra de toi », ont même lancé certains, sur Instagram, à l’artiste, qui a également reçu des courriers de menaces. « Cette exposition constitue évidemment une provocation, au regard de la vocation cultuelle du lieu, et […] de la mémoire nationale qu’il incarne aux yeux des Français », s’est insurgé le député RN Matthias Renault au Centre des monuments nationaux (CMN), dans une lettre qu’il a diffusée sur X.

« Cette exposition ne présente aucun caractère religieux ou revendicatif », a réagi le CMN. De son côté, le diocèse de Saint-Denis estime qu’elle ne porte « atteinte ni aux valeurs de l’Évangile, ni au culte catholique ». La mairie de Saint-Denis, quant à elle, « tient à condamner les propos tenus sur fond d’islamophobie […] et de méconnaissance totale de la démarche artistique de la photographe ». Cette dernière cherche en effet, dans l’ensemble de son travail, à mettre en lumière les laissés-pour-compte de tous horizons, des habitants des banlieues à ceux des campagnes, en passant par les artistes victimes de censure dans le monde – un projet récompensé en 2020 par le prix Roger Pic de la Scam (Société civile des auteurs multimédia).

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Trois portraits recouverts lors d’une action menée par un groupe d’ultradroite

Ce mardi 11 mars vers midi, des membres du groupe d’ultradroite Les Natifs ont riposté en recouvrant trois photographies de l’exposition avec des couvertures noires et en accrochant par-dessus des posters de sainte Geneviève, de Jeanne d’Arc et de l’infirmière militaire Geneviève de Galard (1925–2024), surnommée « l’ange de Diên Biên Phu ». Une façon, affirment-ils, de les remplacer par « de vraies héroïnes ». Les tissus et les posters ont été rapidement retirés. La mairie a cette fois condamné une « tentative de censure » qui « s’attaque non seulement à une œuvre artistique, mais également aux valeurs de diversité et d’ouverture qui fondent l’identité de la ville de Saint-Denis ».

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Sandra Reinflet – Nouvelles Reines

Du 19 septembre 2024 au 27 avril 2025

www.saint-denis-basilique.fr



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