Seul le prononcé fait foi.
C’est dans des circonstances très particulières que je m’exprime aujourd’hui devant vous pour célébrer ce soixante-quinzième anniversaire de la sécurité sociale. Voilà près d’un an qu’un virus inconnu a fait son apparition à l’autre bout du monde. Depuis, l’Europe et la France doivent faire face à une des pandémies les plus graves, peut-être, depuis la Grippe espagnole. Face à cette crise, nous avons pu, chaque Français a pu, constater la solidité et l’importance de notre système social. Ce système était né lui-aussi d’une crise internationale majeure, la Seconde Guerre mondiale. D’une crise à l’autre, notre système de sécurité sociale est né, a évolué, s’est réformé et a résisté.
Portée par le Conseil National de la Résistance et conçue par les esprits visionnaires de Pierre Laroque, Alexandre Parodi et Ambroise Crozat, la sécurité sociale est très vite devenue la pierre angulaire de notre édifice institutionnel. Aujourd’hui, elle est le socle sur lequel est bâti le modèle social français. Ce modèle, pardonnez-moi cette expression, a montré sa puissance par rapport à d’autres formes de société et de système de protection. Les Français, quels qu’ils soient, ont été parmi les mieux protégés dans la crise sanitaire que nous traversons.
Vous pouvez construire toutes les politiques de santé que vous voulez, si les malades n’ont pas les moyens de se soigner, quel que soit leur âge, leurs revenus, leur état de santé, ces mesures deviennent inefficaces parce qu’elles sont, de fait, inégalitaires.
Cette maladie redoutable est venue nous rappeler que notre système était le bon.
Avec ses cent-cinquante mille employés, auxquels je veux rendre hommage, la sécurité sociale a servi de rempart pour protéger les malades et leurs familles, mais aussi la société toute entière. Derrière ce rempart il y avait d’autres femmes, d’autres hommes, mobilisés jours et nuits en milieu hospitalier et dans le secteur libéral pour faire front contre l’épidémie. Honneur leur soit rendu. Aujourd’hui encore, nous devons nous tenir à leur côté. Nous avons sans délai tiré des conséquences majeures et historiques de cet événement, et ce avant même qu’il ne soit terminé.
C’est l’objet du Ségur de la Santé qui est non seulement un acte de reconnaissance, mais aussi un acte de volonté, volonté d’assurer l’attractivité, le renforcement et l’efficience de notre système de santé, qui constitue plus que jamais l’un des piliers de notre sécurité sociale. Un effort de 9 milliards d’euros, qui est pour partie une remise à niveau, mais qui est inédit dans son ampleur depuis 1945.
Faut-il rappeler que la sécurité sociale a démontré aussi dans cette crise d’autres forces : lors des derniers mois et dans un délai record, le revenu de tous a été garanti, les droits qui arrivaient à échéance ont été prolongés pour qu’une crise sociale ne vienne pas s’ajouter à la crise sanitaire. La sécurité sociale a non seulement protégé les malades et leurs familles, mais elle a été un véritable amortisseur économique et social qui, disons-le ici tout net, a empêché l’effondrement de la France.
Bien évidemment, la sécu de 2020 n’est pas celle de 1945. Et c’est une autre force de cette institution que d’avoir su s’adapter continument aux évolutions structurelles de notre société et de notre économie : évolution de l’économie qui est passée des Trente Glorieuses à une situation de crise endémique et de croissance en berne, avec des hauts et des bas depuis 1974 ; évolution du monde du travail où l’apparition du chômage de masse s’est conjuguée avec le recul du salariat; évolution de notre structure sociale, marquée par le vieillissement de la population, les transformations de la cellule familiale et les conquêtes des femmes pour le respect de leurs droits fondamentaux, notamment dans le champ professionnel.
Vous le savez, la tendance lourde de cette adaptation a conduit à l’universalisation croissante de notre Sécu, tant dans ses champs d’intervention que dans ses modes de financement.
Si la sécurité sociale fut créée sur l’impulsion de l’Etat, elle ne se confondait pas avec lui et elle ne se confondra jamais avec lui. Ainsi, la couverture du risque social n’a pas été nationalisée mais bien financée par un système de cotisations obligatoirement acquittées par les employeurs et les salariés. Ce n’était pas l’Etat qui couvrait le risque mais un prélèvement sur les salaires et donc sur le travail.
L’universalisation de la sécurité sociale a conduit le système à prélever ses financements audelà des seuls salaires, il a fallu faire le choix de taxer d’autres sources de richesse. Ce fut l’objet essentiel de la création par Michel Rocard de la CSG (contribution sociale généralisée). Cette évolution était évidemment indispensable à l’universalisation de la couverture sociale mais elle a eu pour corolaire l’affaiblissement du rôle des partenaires sociaux. Pourtant il ne peut y avoir de véritable esprit de responsabilité que dans le cadre d’une gouvernance faisant toute leur place aux acteurs économiques et sociaux.
Le Président de la République, depuis 2017 et dans les mois qui viennent, a voulu que cette grande œuvre soit confortée et amplifiée. Dans le sens de l’égalité, de la justice et de la responsabilité, c’est-à-dire dans la fidélité aux principes fondateurs posés par le CNR.
Ce quinquennat sera celui de la création de la cinquième branche dédiée à l’autonomie tant attendue et jamais réalisée jusqu’ici. Les ordonnances de 1945 cherchaient à épargner la misère aux travailleurs âgés ; soixante-quinze ans plus tard nous voulons offrir aux personnes handicapées et aux grands aînés et, sur l’ensemble du territoire national, la possibilité de choisir jusqu’au bout leur mode de vie. La loi autonomie qui sera débattue l’an prochain permettra d’en fixer les modalités. D’ores et déjà, les aidants, dont la place est appelée à devenir de plus en plus importante avec le vieillissement de notre société, peuvent depuis le 1er octobre bénéficier d’un congé indemnisé. Ainsi, ils n’ont plus à choisir entre l’attention due à leurs proches et leur place au travail.
Autre réforme majeure, celle de la retraite universelle.
Ce souci d’universalité qui prévalait déjà à la création même de notre système en 1945 doit maintenant trouver sa réalisation complète dans un régime universel et lisible par tous. Dès l’origine, les Pères fondateurs avaient hésité à créer un système strictement égalitaire, mais à une époque où le salariat dominait largement la société française, ils ont préféré maintenir la juxtaposition de régimes différents. Dans une société qui aspire à une plus grande égalité de droits réels, et dans laquelle le salariat n’a plus le même poids économique et social, nous devons construire ce changement. Je sais l’inquiétude que cela suscite chez certaines catégories de salariés. Comme je m’y suis engagé devant la représentation nationale, je souhaite que les partenaires sociaux prennent toute leur place dans ce projet engagé par mon prédécesseur. Nous devons également poursuivre l’engagement d’une sécurité sociale au service de l’émancipation. Il y a soixante-quinze ans, la sécurité sociale voulait protéger la vieillesse et la maternité. Aujourd’hui, la société exige l’égalité réelle. Si c’est sur la mère que reposent toutes les contraintes liées à une naissance puis la garde des enfants, jusqu’à leur scolarisation obligatoire, où est-elle, l’égalité réelle ? C’est aussi cette exigence que doit honorer la sécurité sociale, et c’est le sens que nous souhaitons donner à la politique familiale ; prévenir les accidents de la vie, et pas seulement les réparer.
Depuis le 1er octobre, les femmes qui élèvent seules leurs enfants se voient garantir leur pension alimentaire grâce à la sécurité sociale.
En allongeant le congé de paternité et d’accueil du jeune enfant, et en lui conférant un caractère obligatoire pour 7 jours, nous sommes au cœur de cette promesse : celle de mieux contribuer au développement de l’enfant, et celle de progresser encore vers l’égalité entre les femmes et les hommes.
La sécurité sociale rend possible une véritable émancipation lorsqu’elle assume sa fonction de redistribution en donnant plus à ceux qui ont le moins. C’est ce que nous voulons avec la création de la complémentaire santé solidaire, qui offre une couverture à la fois plus simple, plus large et plus accessible à tous ceux qui ont des revenus modestes, notamment après la retraite.
Toutefois, si la crise que nous traversons a révélé la force de notre système, elle est aussi venue le déstabiliser profondément. La pandémie s’est traduite par un déficit de plus de 40 milliards d’euros des comptes de la sécurité sociale. Ce sont plus de dix ans d’efforts de redressement consentis par le pays après la grave crise économique de 2008 qui ont été ainsi anéantis en quelques mois par un virus.
L’investissement financier colossal que nous avons décidé – pour affronter la crise elle-même mais aussi, pour rémunérer les soignants à la hauteur du service qu’ils rendent à la France– je l’assume entièrement. Ils sont à la hauteur de l’engagement pris par le Président de la République au début de l’épidémie. Mais je partage aussi l’inquiétude de nos concitoyens qui redoutent que le poids de ce déficit ne finisse par menacer la pérennité du système.
Nous avons une obligation absolue qui est d’assurer la solidité économique de notre système de protection sociale, pour que nos enfants, et leurs enfants après eux, puissent à leur tour bénéficier d’une sécurité sociale aussi protectrice qu’aujourd’hui. Les créateurs de la sécurité sociale n’envisageaient pas qu’elle puisse reposer sur une dette laissée aux générations futures.
C’est d’ailleurs bien l’équilibre des comptes qui a prévalu jusqu’à la fin des années soixantedix, jusqu’au choc pétrolier et à la crise économique qui a suivi.
Il ne s’agit évidemment pas d’absorber immédiatement l’impact aussi soudain qu’il a été brutal de la crise du Covid, car nous ne le pourrions pas. Nous devons cependant tracer le chemin de la responsabilité, avec les partenaires sociaux, pour un retour à l’équilibre de notre système.
Nous devons être également exigeants dans la modernisation nécessaire de notre système et surtout de son efficience. C’est un combat permanent, et je sais l’engagement de toutes celles et ceux qui font vivre au quotidien la sécurité sociale. Le système construit par les Pères fondateurs et entretenu avec soin par les générations qui leur ont succédé repose avant tout sur la confiance. Pour construire cette confiance, il nous faut œuvrer pour un meilleur recours aux droits de tous les bénéficiaires et lutter fermement contre les phénomènes de fraude.
Que chacun bénéficie du juste droit. Qu’aucune prestation ne soit détournée. C’est l’exigence et l’éthique qui doivent nous guider.
Aujourd’hui, contrairement à ses débuts, le système de sécurité sociale n’a plus d’ennemis idéologiques et tous les Français, même les esprits les plus libéraux, se le sont appropriés. La Sécurité Sociale n’est pas seulement l’objet d’un consensus national, elle est consubstantielle à l’idée même que nous nous faisons du Contrat Social. Désormais, je dois le dire ici, le seul ennemi de la Sécurité Sociale, c’est la crise économique profonde. Le Général de Gaulle l’affirmait lui-même il y a plus de cinquante ans, l’économie reste la condition même du progrès social. Aussi, pour rétablir les comptes de la sécurité sociale, et nous les rétablirons, je ne connais que deux leviers : le travail et la restauration de la croissance. C’est la raison pour laquelle nous avons élaboré un plan de relance à 100 milliards d’euros qui s’adresse tout à la fois aux entreprises et aux particuliers mais qui a été aussi pensé et voulu pour soutenir notre système de protection sociale. Il n’existe pas à ma connaissance de politique efficace dont chaque partie ne soit solidaire les unes des autres, c’est ce que j’ai voulu vous dire aujourd’hui, dans le cadre de cette commémoration. Notre politique est globale. La sécurité sociale fait partie d’un tout, sans que cela n’enlève rien à son identité singulière et, j’ose le mot, sa souveraineté.
Ces perspectives tracées par le Président de la République sont aussi un moyen pour nous de dépasser l’horizon de cette crise pour montrer aux Français que non seulement leur système de sécurité sociale a tenu, mais que nous allons le réformer et l’améliorer. C’est le plus sûr moyen de rester fidèles aux enseignements et à l’héritage de nos grands anciens qui avaient ouvert la voie.
Je vous remercie.