À l’occasion de la diffusion ce dimanche des “Aventures de Rabbi Jacob” sur France 2, revenons sur la sortie en salles mouvementée et tragique de la comédie de Gérard Oury.
Après les triomphes du Corniaud, de La Grande vadrouille ou encore de La Folie des grandeurs, Gérard Oury retrouve en 1973 l’un de ses acteurs fétiches, Louis de Funès, pour la comédie Les Aventures de Rabbi Jacob. Le film met en scène un homme d’affaires irascible et foncièrement xénophobe, Victor Pivert, alors qu’il se rend à Paris pour le mariage de sa fille. Mais rien ne se passe comme prévu et il croise la route d’un dissident d’un pays arabe poursuivi par des tueurs. Pour leur échapper, ils n’auront d’autre choix que de se déguiser en rabbins. Pivert est alors pris pour Rabbi Jacob, sommité new-yorkaise attendue en grande pompe par la communauté juive de la rue des Rosiers…
Un contexte politique délicat
Si ce film est aujourd’hui un classique du cinéma français et a totalisé presque 7,3 millions d’entrées, sa sortie en salles fut très mouvementée. Programmée un an à l’avance, elle tombe durant la guerre du Kippour qui se déroula au mois d’octobre 1973 et opposa Israël à une coalition menée par l’Égypte et la Syrie, qui espérait reconquérir les territoires perdus lors de la guerre des Six Jours de 1967. Gérard Oury et son équipe envisagent de repousser la sortie du film lorsque le conflit éclate mais décident finalement de s’en tenir à la date fixée depuis des mois. Dans ce contexte, le caractère religieux des Aventures de Rabbi Jacob ne laisse pas indifférent et provoque des réactions très violentes.
Prise d’otages
La promotion de cette comédie est assurée par Georges Cravenne, célèbre journaliste, producteur et attaché de presse à qui l’on doit la création des César, des Molières, des 7 d’or et de l’Académie des arts et techniques du cinéma. Son épouse, Danielle Cravenne, est présentée par son entourage comme psychologiquement fragile. Étant pro-Palestine, elle considère que le film soutient Israël. Dans le but de le faire interdire, elle détourne le jour de sa sortie, le 18 octobre 1973, le Boeing 727-228 assurant le vol Paris-Nice. Dans un reportage diffusé sur l’ORTF en 1973, le préfet de police Heckenroth énonce les réclamations de la preneuse d’otages : “Elle a réclamé 15 000 litres de kérosène pour partir. Elle voulait se poser dans des régions ahurissantes puis elle a demandé à manger”.
Armée d’une carabine, elle exige d’atterrir au Caire mais le pilote la convainc de se poser à l’aéroport de Marseille Marignane, faute de carburant suffisant pour atteindre la capitale égyptienne. Là, et après l’évacuation des passagers, le GIPN ouvre le feu sur Danielle Cravenne, qui décède de ses blessures dans l’ambulance qui la mène à une clinique. Si les forces de l’ordre affirment avoir agi en état de légitime défense, Georges Cravenne est persuadé que sa mort aurait pu être évitée. Il intente un procès contre l’État français mais le perd.
Cet événement tragique n’empêcha pas le triomphe du film, qui traversa même l’Atlantique pour être nommé au Golden Globe du meilleur film en langue étrangère en 1973. Non seulement il n’a pas entaché le succès du film, mais il a aussi fini par être oublié du plus grand nombre.