
Un prêtre qui embrasse une religieuse. Des portraits de condamnés à mort aux États-Unis. Un jeune homme atteint du sida sur son lit de mort. Un oiseau empêtré dans une mer de pétrole. Photographe durant plusieurs décennies pour la marque italienne de vêtements Benetton, Oliviero Toscani a multiplié les images choc, illustrant les plus grandes luttes de la fin du XXe siècle.
Disparu ce lundi 13 janvier à l’âge de 82 ans, victime d’une maladie rare (l’amylose, qui lui a fait perdre 40 kilos en un an), l’homme a été salué par le ministre italien de la Culture Alessandro Giuli comme « l’un des plus grands artistes de la photographie contemporaine ». Il laisse derrière lui des campagnes publicitaires marquantes, où n’apparaît la plupart du temps aucun vêtement Benetton mais qui associent la marque à des valeurs fortes. « La photo devient de l’art lorsqu’elle provoque une réaction en nous, que ce soit de l’intérêt, de la curiosité ou de l’attention », expliquait-il en 2010.
Le choc des images
Oliviero Toscani, le célèbre photographe des campagnes publicitaires Benetton
Ses photographies traduisent ainsi son engagement contre le racisme, la pollution, la peine de mort, l’homophobie ou les préjugés en tout genre, mais aussi pour l’amour et l’amitié entre les peuples. C’est d’ailleurs par l’image minimaliste d’un bouquet de fleurs variées, ordinaires ou élégantes (tulipes, roses, fleurs des champs), immortalisées en 1989, que la marque a rendu ce matin hommage à son photographe sur le réseau social Instagram, écrivant : « Pour expliquer certaines choses, les mots ne suffisent pas. Tu nous l’as appris. »
Leurs rapports n’étaient pourtant pas au beau fixe. En 2020, Benetton avait annoncé avoir mis un terme à leur collaboration, réagissant aux propos tenus par l’artiste lors d’une émission de radio à la suite de l’écroulement du pont de Gênes, qui avait fait 43 morts en août 2018. « Mais ça intéresse qui qu’un pont s’écroule ? », s’était-il exclamé, avant de s’excuser plus tard : « Moi, comme tous les autres, je suis intéressé et indigné par cette tragédie, mais il est absurde que certains journalistes me demandent des comptes à moi. »
Un « enfant terrible » de la photographie de mode et de publicité
Restent aujourd’hui ses photographies, clichés emblématiques qui ont marqué l’histoire de la publicité. Réunies récemment par le Museum für Gestaltung de Zurich – ville où Oliviero Toscani a fait ses études au sein de la Kunstgewerbeschule (École d’arts appliqués) – sous le titre « Photographie et provocation », elles ont quasi-systématiquement ouvert la voie à de nombreux et houleux débats sur l’utilisation mercantile de la souffrance des hommes…
Campagne publicitaire Benetton par Oliviero Toscani à Milan en 1991
Et ont aussi, a contrario, généré des interrogations sur l’importance pour les grandes marques d’inviter leurs consommateurs à réfléchir. Riche de 500 clichés, la rétrospective de Zurich faisait en tout cas le portrait d’un « enfant terrible », comme le surnommait avec gourmandise le curateur Christian Brändle.
Fils de photo-reporter, Toscani avait quitté l’Europe pour le New York d’Andy Warhol, invitant la photographie de rue au cœur de la Factory, puis s’était fait un nom internationalement reconnu comme photographe de mode et de publicité, notamment pour Jean-Charles de Castelbajac dès 1976. Un esprit singulier qui a bouleversé des codes bien ancrés, et a hissé la communication d’une simple marque de vêtements au statut d’icône de la culture visuelle des années 1990.