La maison-musée de Gustave Moreau, un joyau symboliste au cœur de Paris


En 1862, à la veille de Noël, Gustave Moreau confie, au bas d’un croquis : « Je pense à ma mort et au sort de mes pauvres petits travaux et de toutes ces compositions que je prends la peine de réunir. Séparées, elles périssent ; prises ensemble, elles donnent un peu l’idée de ce que j’étais comme artiste et du milieu dans lequel je me plaisais à rêver. »

Voilà dix ans que l’artiste occupe, avec ses parents, une modeste maison de la rue de La Rochefoucauld, en plein cœur de la Nouvelle Athènes, quartier alors en pleine reconfiguration devenu l’eldorado d’une nouvelle génération d’artistes. Louis Moreau, son père, qui vient tout juste de décéder, l’avait achetée au nom de Gustave et fait réaménager les étages supérieurs. Homme discret à la santé fragile, doublement débouté du prix de Rome, le peintre occupait alors un minuscule atelier d’à peine trente mètres carrés…

À gauche, le portrait de Gustave Moreau par Bingham Robert Jefferson (vers 1865). À droite, la façade de la Maison de l’artiste à Paris.

À gauche, le portrait de Gustave Moreau par Bingham Robert Jefferson (vers 1865). À droite, la façade de la Maison de l’artiste à Paris.

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épreuve sur papier albuminé • © RMN-Grand Palais / Photo René-Gabriel Ojeda ; © J. Y. Lacôte

« Je lègue ma maison sise 14, rue de La Rochefoucauld, avec tout ce qu’elle contient […], à l’État. »

Gustave Moreau

Les années s’écoulent. La mère de l’artiste décède à son tour en 1884. Sa proche amie, Alexandrine Durieux, s’éteint quant à elle en 1890. Sans descendance, Moreau se retrouve seul dans sa maison… Grand admirateur de son œuvre, Joris-Karl Huysmans décrit alors l’artiste secret et inclassable, comme un « mystique enfermé, en plein Paris, dans une cellule où ne pénètre même plus le bruit de la vie contemporaine »… Mais Moreau reste néanmoins soucieux de la postérité de son œuvre. Il fait donc appel à l’architecte Albert Lafon, alors locataire du rez-de-chaussée du 14 rue de La Rochefoucauld.

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Son idée : agrandir considérablement sa demeure, afin de la transformer en musée. Henri Rupp, son légataire universel, parachève ce grand projet après le décès du peintre qui a, de son côté, pris soin de rédiger dans ses dernières volontés : « Je lègue ma maison sise 14, rue de La Rochefoucauld, avec tout ce qu’elle contient […], à l’État, […] à cette condition expresse de garder toujours – ce serait mon vœu le plus cher – ou au moins aussi longtemps que possible, cette collection, en lui conservant son caractère d’ensemble qui permette toujours de constater la somme de travail et d’efforts de l’artiste pendant sa vie. » Soit 25 000 œuvres, parmi lesquelles 850 peintures et 15 000 dessins !

La salle à manger de la maison Gustave Moreau à Paris

La salle à manger de la maison Gustave Moreau à Paris

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Après un laborieux inventaire, le musée Gustave-Moreau ouvre finalement ses portes en janvier 1903. Cent-vingt ans plus tard, l’accrochage, imaginé par l’artiste et Rupp, reste inchangé : les œuvres sont accrochées selon le goût du XIXe siècle, c’est-à-dire à touche-touche, sans respecter un ordre chronologique ou thématique quelconque.

Un musée figé dans le temps

Au rez-de-chaussée, le visiteur se faufile d’abord dans une enfilade de pièces minuscules, presque semblables à des alcôves, aux murs tapissés de petits formats illustrant différents moments de la carrière du peintre, de ses copies de Poussin ou de Corrège réalisées en Italie à ses fragiles dessins et autres aquarelles, protégés de la lumière par d’astucieux placards aux portes pivotantes (qui pour d’évidentes raisons de conservation ne se révèlent aux yeux des visiteurs que les samedis et dimanches après-midi, de 14h30 à 14h45).

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Le second boudoir de la Maison Gustave Moreau à Paris

Le second boudoir de la Maison Gustave Moreau à Paris

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Au premier étage se déploie le « musée sentimental » de Gustave Moreau, qui occupe les vestiges de l’appartement familial doté, à partir de 1890, d’un cabinet de réception. Le vieil artiste y réunit ses livres, sa collection d’antiques hérités de son père, et y reçoit, entouré de ses œuvres, ses quelques rares visiteurs comme Huysmans ou ses fidèles élèves, Henri Matisse et Georges Rouault. C’est d’ailleurs ce dernier qui occupera, le premier, la fonction de conservateur du musée Gustave-Moreau. Salle à manger, chambre, boudoir… Les pièces minuscules rassemblent d’émouvants souvenirs de l’artiste. Céramiques, photographies, œuvres d’amis saturent l’espace qui a des allures de sanctuaire silencieux, dans lequel chaque objet semble irrémédiablement figé dans le temps.

Il faut encore monter quelques marches pour assister au clou du spectacle… Et quel spectacle ! Un atelier immense et baigné de lumière, entièrement conçu par l’architecte Albert Lafon. Il fallait bien cela pour accueillir aux murs les formats monumentaux du peintre. Comme les époustouflants Prétendants (1862), nombreux sont les tableaux de Moreau à porter des traces d’agrandissements, réalisés spécialement dans le cadre de la préparation d’une grande exposition, peut-être posthume, de l’artiste. Ceux-ci y côtoient des œuvres inachevées (Le Retour des Argonautes, Les Filles de Thespius…) ainsi que quelque 4 830 dessins, que le visiteur peut admirer dans des présentoirs à volets pivotants, dissimulés derrière un petit rideau.

Au bout de l’atelier trône un escalier exceptionnel, chef-œuvre absolu de ferronnerie (ill. en une), qui offre non seulement une vue imprenable sur les toiles du maître, mais permet aussi d’accéder au dernier étage de la demeure, où l’étourdissant ballet de chefs-œuvre se poursuit : Jupiter et Sémélé (1895), L’Enlèvement d’Europe (1869), L’Apparition (1876)… Une expérience sublime et totale qui ressuscite l’esprit de Gustave Moreau, éternellement habité par le grand Mystère de la peinture.



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