Amaury et Marie-Odile Smets sont peut-être vus comme des hurluberlus par certains voisins, mais ils ne regrettent pas l’orientation qu’ils ont donnée à leur ferme. Le couple, installé dans la région très productive du Nord, s’est tourné vers l’agroécologie avec une grosse part d’herbe dans la ration des vaches laitières. Et ça leur réussit !
Amaury et Marie-Odile Smets se sont respectivement installés en 2000 et 2002 en reprenant l’exploitation familiale à Quesnoy-sur-Deûle dans le Nord. L’EARL Ferme de la Clarine, en polyculture élevage, se situe non seulement dans une zone très productive avec des terres à haut potentiel, mais également à une dizaine de kilomètres de Lille. Une opportunité pour la transformation laitière et le circuit court développé par Marie-Odile dès 2006.
Si sa femme est bien occupée par la transformation, Amaury gère plutôt les vaches et les cultures pour lesquelles il a initié une transition sans précédent. Il reconnait alors : « Le projet de diversification de Marie-Odile a été le salut sur la ferme : il a permis d’apporter de la valeur ajoutée, et donc de faire grossir le capital sans reprendre de terres [à noter qu’ici la pression est très importante et la reprise de bail se chiffre à 16 000 €/ha, NDLR]. Cela m’a permis de mon côté de prendre des risques en allant vers l’agroécologie. Marie-Odile a en fait financé mon programme recherches et développement », plaisante-t-il.
Une remise en question du système cultural
« À notre installation, nous avons perpétué ce qui avait été mis en place depuis des années. Ici il y a beaucoup de cultures industrielles, nous faisions notamment à cette époque 15 ha de pommes de terre et 6 ha de betteraves sucrières. On cultivait beaucoup de maïs pour les vaches et on achetait du soja (à 200 €/t dans ces années-là, se souvient Amaury). On faisait des intercultures de ray-grass qui demandaient beaucoup d’engrais et de travail du sol. Bref, on était dans un système très productif avec une bonne marge sur les cultures. »
Mais le couple s’est petit à petit questionné et intéressé à d’autres techniques : « La première approche a été agronomique : plutôt que d’épandre du lisier, on a privilégié le fumier. Puis on a réimplanté des haies dans les parcelles, plutôt dans un objectif de diversifier le paysage dans un premier temps. » Amaury a continué avec un assolement typique du secteur jusqu’en 2015 où a eu lieu le véritable gros changement. « Grâce à nos salariés, nous avons pu quitter la ferme plusieurs fois pour voir ce qui se faisait ailleurs, c’est à partir de ce moment-là que j’ai voulu changer les choses. »
Si on fait de bons rendements sur les cultures, on fera aussi de bons rendements avec l’herbe !Cela a commencé par un arrêt du travail du sol, puis la réimplantation de prairies temporaires avec des légumineuses. « Ici ça n’existe pas beaucoup les prairies, on est dans un secteur à forts rendements, on fait par exemple 17 à 18 t MS/ha en maïs fourrage. » Amaury a aussi opté pour des méteils derrière les maïs et le sorgho.
40 ha de prairies dans la SAU
Aujourd’hui l’exploitation compte 40 ha de prairies (11 ha de prairies permanentes et 29 ha de prairies temporaires en place pour 3 à 5 ans et en rotation avec des céréales). Amaury et Marie-Odile ont repris la main sur l’alimentation du troupeau en rachetant une mélangeuse (tâche qui était jusqu’à présent déléguée via une prestation de distribution commune avec 6 autres éleveurs). L’objectif : mettre plus d’herbe dans la ration. Et la consommation en concentrés a été réduite à 1 t de concentré/an/VL.
Et si le troupeau ne dispose que d’une vingtaine d’hectares accessibles autour de la ferme (parcelles gérées au fil avant), il a de l’herbe toute l’année à l’auge car le couple a aussi investi dans une remorque autochargeuse en 2020 pour faire de l’affouragement en vert. « En fauchant régulièrement, on maintient une bonne pousse et on maitrise les adventices », explique Amaury. Pour les stocks, ils font en moyenne 5 coupes par an
Un bio au milieu des conventionnels
En 2021, nouveau challenge : le passage en agriculture biologique (en non simultané : les cultures en place à partir de mai 2023 seront bio alors que le lait ne le sera qu’en octobre 2023). « J’étais déjà dans cette logique de limiter le recours aux engrais et aux produits phytos, je voulais aller au bout. » La vente directe a été un argument supplémentaire : « L’agriculture biologique est reconnue chez nos clients et c’est aussi le seul label qui apporte une plus value supplémentaire à nos produits. »
Le couple avoue : « On passe pour des fous de passer en bio avec la conjoncture actuelle. Mais en 2020 lorsqu’on a sauté le pas, Danone recherchait des éleveurs bio ce qui nous a motivé. La laiterie a depuis changé de cap, mais nous avons signé un contrat pour 5 ans qui nous sécurise. On verra après si le marché se reprend… »
Le prochain projet concerne l’installation d’un séchoir à plat à énergie solaire. L’objectif : faire moins d’ensilage et mieux valoriser les fourrages en sec, notamment ceux comportant des légumineuses comme la luzerne. « L’ambition est aussi d’avoir un projet collaboratif avec un séchoir partagé avec d’autres éleveurs du coin qui achètent de la luzerne produite dans d’autres régions. Cela pourrait permettre de créer une dynamique de territoire et inciter les producteurs à cultiver plus de légumineuses. » Amaury constitue actuellement les dossiers pour la création d’un GIEE avec 10 voisins.