Arc-boutée, genoux dans la terre, une jeune femme vêtue à la mode du XVIIe siècle gratte le bois mort, scrute les arbrisseaux et tâte les mûriers. Ce qu’elle y cherche ? Des cocons et des chenilles ! « Dès ma jeunesse, raconte Maria Sibylla Maria, je me suis appliquée à l’examen des insectes, j’ai commencé à Francfort-sur-le-Main, ma patrie, par les vers à soie ; ayant ensuite remarqué que les plus beaux papillons, tant ceux qui volent le jour que ceux qui ne volent que la nuit, sortaient des chenilles ; je ramassai toutes celles que je trouvais, pour en étudier les transformations. Pour faire mes observations avec plus d’exactitude, j’abandonnai toute sorte de compagnie et je m’appliquai au dessin afin de pouvoir peindre ces insectes au naturel. »
Maria Sibylla Merian naît à Francfort-sur-le-Main en 1647. À trois ans elle perd son père, Matthaüs Merian, et sa mère Johanna Sibylla Heim épouse le peintre de fleurs Jacob Marrel, qui lui apprendra le dessin, la peinture et la gravure en taille-douce. En 1665, Maria Sibylla se marie avec le peintre Johann Andreas Graff avec qui elle emménage à Nuremberg. Deux filles naîtront de cette union : Johanna et Dorothea. C’est à son compte que Maria Sibylla publie son premier livre (Neues Blumenbuch ou « Nouveau livre des fleurs », 3 volumes) entre 1675 et 1677 mais c’est en 1679 qu’elle exprime pleinement sa passion avec La Merveilleuse transformation et la nourriture florale de la chenille.
Fine observatrice des insectes, elle complète son savoir empirique par l’étude des travaux de Jan Swammerdam, Thomas Muffet et de Jan Goedart. Comme eux, elle contredit la thèse d’une génération spontanée héritée d’Aristote et encore largement admise au XVIIe siècle : les insectes ne viennent pas d’un néant fécond mais croissent, se transforment et se reproduisent. Maria Sibylla n’a certes pas découvert ce cycle allant du papillon à l’œuf et de l’œuf au papillon mais ses planches en sont l’une des descriptions les plus précoces. Et les plus sublimes.
Femme indépendante, Maria Sybilla Merian quitte son mari en 1685 pour rejoindre accompagnée de sa mère et de ses filles la communauté religieuse des labadistes dans la Frise occidentale (Pays-Bas), où elle jouit de conditions privilégiées pour étudier la nature. À la mort de sa mère en 1691, Maria Sibylla se déclare veuve – bien que son ancien époux soit toujours vivant – et gagne Amsterdam. Là, elle s’établit comme préceptrice et enseigne le dessin, trouvant aussi le temps d’enrichir sa collection et de découvrir les plus beaux cabinets de curiosités.
« Je n’ai rien vu en Hollande de plus curieux que les différents insectes que l’on apporte des deux Indes […] dont néanmoins on ne connaissait ni l’origine, ni la génération. » Avant qu’on les nomme ainsi, Maria Sibylla Merian est aussi une pionnière dans l’étude des écosystèmes, tant elle rattache l’origine de la vie animale à son environnement naturel. Ce souci se retrouve dans des compositions qui associent toujours la faune et la flore. Malgré son statut de femme de 52 ans, elle parvient à intégrer en juin 1699 l’expédition pour le Suriname financée par le bourgmestre, accompagnée de sa cadette Dorothea Graff. Ses rêves d’exploration se concrétisent !
Mère et fille officient comme naturalistes près de Paramaribo. Les colons néerlandais méprisent leurs travaux, tandis que Maria Sybilla est choquée par le traitement que ceux-ci infligent aux esclaves africaines et amérindiennes. C’est sur ces dernières que s’appuie l’artiste pour s’enfoncer plus loin dans la jungle, traquant de nouvelles espèces, éprouvant un climat humide et hostile. Cette témérité n’est pas sans prix puisque l’artiste contracte une malaria qui la contraint de rentrer à Amsterdam en juin 1701. Ses bagages sont chargés de notes et de croquis ainsi surtout que de spécimens inconnus sur le Vieux Continent.
Maria Sibylla Merian s’attache alors à la création de ce qui restera son œuvre majeure : Metamorphosis insectorum surinamensium (« Jan Goedart ») paraît en 1705, rassemblant 60 planches en pleine page accompagnées d’une notice en latin et en néerlandais. Rarement l’art ne s’est mis à ce point au service de la science : la composition-type est centrée sur une plante, autour de laquelle les espèces animales familières évoluent dans des scènes criantes de vie. La naturaliste ne s’arrête pas aux insectes puisque des vertébrés sont aussi représentés, par exemple les têtards et grenouilles dont la transformation fascine tout autant Maria Sibylla. Celle-ci décrit enfin précisément le comportement des animaux, seuls ou en groupe, précédant l’éthologie moderne.
Fille d’un graveur renommé – Matthäus Merian a publié avec les fils de Théodore de Bry les derniers tomes des Americae –, Maria Sybilla Merian soigne sa dynastie en transmettant son savoir à Dorothea. Longtemps sous-estimée, la contribution de celle-ci aux Métamorphoses est réévaluée depuis la fin du XXe siècle ou plusieurs planches, notamment celles figurant des reptiles, lui sont attribuées.
La vente des Métamorphoses ne va jamais enrichir l’artiste qui continuera de peindre des toiles commerciales par nécessité. Après une attaque cérébrale en 1715, elle finit ses jours pauvre et infirme en 1717. Son œuvre phare ne va cesser d’être rééditée aux XVIIIe et XIXe siècles, étudiée tant par les artistes peintres que par les naturalistes. Les recherches de Merian sur la génération, la transformation et la singularité des insectes auront une influence notable sur Carl von Linné, père de la classification des espèces au XVIIIe siècle. Elles marquent un jalon dans la lente mais certaine marche des sciences, jusqu’à L’Origine des espèces de Charles Darwin (1859).
Maria Sibylla Merian, histoire naturelle
par Daniel Kiecol
Éditions Place des Victoires, 2018 • 25 €
Une monographie sommaire et richement illustrée, pour explorer plus en détail le parcours de l’artiste.
Insectes du Suriname
Par Maria Sibylla Merian
Editions Taschen, 2009 • 128,75 €
Pour se laisser porter par les reproductions des planches en grand format de l’artiste, dans cette belle édition, malheureusement épuisée chez l’éditeur.
Maria Sibylla Merian : la mère de l’écologie
Par Yannick Lelardoux
Pas étonnant qu’un destin aussi singulier au siècle de Louis XIV ait inspiré une bande dessinée. Une autre façon d’approcher l’œuvre.