Séduit par la facilité d’élevage de la race auvergnate, Yves Bulleux a troqué ses Charolaises contre des Salers au début des années 90. Rejoint par son fils Cyril en 2020, tous deux apprécient la rusticité de la vache aux longs poils frisés, qui permet de laisser la vêleuse au placard.
Colza à perte de vue, champs d’éoliennes et buttes de pommes-de-terre : pas de doutes, vous êtes en Picardie. Quoique, le tintement d’une cloche à vache pourrait vous en faire douter. Depuis 30 ans, Yves Bulleux élève des Salers. Un choix qui dénote à quelques 700 km du berceau de la race, mais qui lui a permis de maintenir l’élevage sur son exploitation du nord de la Somme. « Lorsque je me suis installé dans les années 90, je cherchais des bêtes faciles à élever », explique l’agriculteur alors accaparé par la production d’endives.
L’objectif : simplifier autant que possible l’atelier d’élevage. « Quand j’étais gosse, les vêlages, c’était une affaire d’état. On se levait pour surveiller la bête, il fallait aller chercher le voisin… Bref, toute une histoire ». Difficile d’augmenter le cheptel dans ces conditions. « Il faut dire qu’à l’époque, on ne savait pas trop d’où les taureaux venaient. « C’est un bon » disait l’inséminateur… mais on se retrouvait parfois avec des sacrés veaux ! ». L’arrivée de la Salers, d’abord en croisement puis en race pure, a changé la donne : « mon père était effaré de la facilité de vêlage », se remémore l’agriculteur, maintenant à la retraite. Un point de vue que partage son fils, installé sur la ferme depuis 2020 : « s’il y a moyen d’avoir des bêtes faciles, on aurait tort de ne pas y goûter ».
Avec 98 % de vêlages faciles en Salers, la réputation de la race n’est plus à faire. Un statut qu’elle doit à la grande ouverture pelvienne des vaches, et au poids modéré des petits veaux. Durant la campagne 2021-2022, les veaux salers femelles affichaient un poids moyen de 38 kg à la naissance, là où les femelles charolaises avoisinent les 45 kg.
On ne se lève plus la nuit
Même avec des poids de veaux supérieurs à ceux présentés par l’OS, la vêleuse des Bulleux a le temps de prendre la poussière. « On la sort une à deux fois par an », explique Cyril, qui tient 75 vaches allaitantes. « Et encore, parfois, on la prend pour rien ! », ajoute son père. « On a souvent tendance à s’impatienter à tort ».
Mieux : plus besoin de se lever la nuit ! Avec une habitation à 800 m de l’exploitation, autant éviter les va-et-vient nocturnes. « Elevez Salers, dormez tranquille ! C’est ce qu’on nous avait vendu à l’époque », se rappelle Yves. Et la race ne semble pas avoir menti. Aujourd’hui, l’intégralité des vêlages se déroulent en pâture, entre le 15 août et le 1er novembre. Ainsi, pas de problèmes sanitaires, et les veaux ont déjà quelques semaines pour le retour au bâtiment.
Impossible cependant de faire carton plein chaque année. Quelle que soit la race, complications vétérinaires et veaux mal présentés restent inévitables. Preuve en est : les deux césariennes réalisées l’année dernière. « Il y a eu des torsions de matrices. Ça fait partie du jeu, on travaille avec du vivant », relativise Cyril.
D’autant qu’un vêlage réussi ne se résume pas à la seule naissance du veau. La vitalité du nouveau-né ainsi que sa capacité à boire rapidement le colostrum entrent en compte. Et les veaux salers ne sont pas en reste. « En 24 h, ils gambadent », assure le jeune agriculteur. « Ça m’est déjà arrivé de courir après un veau d’une demi-heure pour le boucler ! »
Car une bonne Salers, ce n’est pas qu’une vache qui vêle bien. Tout est affaire de compromis. Les deux agriculteurs veillent à sélectionner de bonnes laitières. « Le lait, ça reste l’aliment le moins cher qui soit », constate Cyril, mais rien ne sert d’en avoir trop « sinon elles fondent comme le beurre au soleil ».
Mais ça n’est pas parce que les vaches sont autonomes qu’elles sont livrées à elles-mêmes. Au pré, elles sont nombreuses à accourir à la vue de Cyril (ou du seau de tourteaux). Grattage, brossage, marche au licol… « On veut des animaux faciles à manipuler », insiste le jeune installé. « Une bête qu’on ne sait pas approcher, je n’en voudrais plus, ajoute son père. Quand on arrive et que toutes les bêtes se barrent… ça ne fait pas bel effet ! »
Entretenir la rusticité de la race
Cependant, la réputation de la race est à entretenir. Si l’OS cherche à préserver cette orientation, la tendance est tout de même à l’alourdissement. « Avant, on était content quand on sortait une vache de 380 kg de carcasse, maintenant, on dépasse facilement les 400 kg », décrit le jeune retraité, encore bien présent sur l’exploitation. Conséquence, les poids de naissance sont revus à la hausse : « un taureau de 1,3 t, ça ne peut pas faire 30 kg à la naissance ! », ajoute l’éleveur.
Pour son fils, « beaucoup d’éleveurs pèsent à l’œil », et les poids moyens évoluent davantage vers les 45 kg que vers les 40… Est-ce un problème ? Pas forcément pour Yves « tant qu’il y a de la facilité de vêlage, mais il faut bien faire attention à garder la rusticité de la race ».