À la Belle Époque, celle des Expositions universelles, du progrès et des grands magasins faisant le bonheur des dames décrit par Zola, c’est une révolution qui a déferlé dans tous les domaines de la création. Le vent d’un art qu’on nommera « nouveau » soufflait partout, des affiches d’Alphonse Mucha aux verreries d’Émile Gallé, s’engouffrant jusqu’aux bouches de métro parisien par Hector Guimard. Dans ce sillage, il était un petit accessoire mais néanmoins grand ambassadeur : le bijou !
Les métamorphoses du bijou
À l’École des arts joailliers, où l’on vient aussi prendre des cours de savoir-faire, de gemmologie et d’histoire du bijou, le parcours se concentre sur le bijou français des décennies 1880–1914, en rassemblant une centaine de pièces dans une scénographie en volutes, miroirs et papiers peints stylisés. Égrenant les merveilles, l’expo, tout comme le livre de Rossella Froissart, montre une joaillerie en phase avec son époque, celle où éclosent les théories de Charles Darwin sur l’évolution des espèces, où le public découvre, médusé, les mondes marins, via les planches d’Ernst Haeckel, les récits du périple du navire scientifique Challenger et rêve en lisant Vingt Mille Lieues sous les mers de Jules Verne. Cet imaginaire infuse chez les artistes symbolistes et imprègne la création joaillière. René Lalique, « l’inventeur du bijou moderne », ou Georges Fouquet, pour citer de grands noms de l’époque, explorent toutes les métamorphoses, femmes-fleurs, sirènes, insectes et autres créatures hybrides. Chez Louis Auroc, des pieuvres surgissent, chez Lucien Falize, des dragons planent.
Admirez cet émouvant pendentif de René Lalique inspiré de la vision d’une forêt sous la neige [ill. ci-dessus à droite]. Déployer telle féerie réclame du savoir-faire, et certaines traditions comme l’émail sont remis au goût du jour avec magie. Les idées changent. Les métaux et pierres précieuses cèdent le premier rang à des pierres de couleur moins onéreuses comme le quartz, les topazes, les grenats, et à des matières organiques tels le corail, la corne, la nacre. Petit à petit, l’amour pour la nature se simplifie, elle se résume à des lignes stylisées, se géométrise, prend des airs abstraits. Après l’Art nouveau c’est l’Art déco qui est en germe.
Vever effeuille son patrimoine rue de la Paix
Poursuivons cette plongée dans le bain merveilleux de l’époque Art nouveau, en cheminant jusqu’à la rue de la Paix, chez Vever. Au numéro 9, à l’étage, cette maison à son apogée au début des années 1900 vient tout juste de renaître après quarante ans de sommeil. Ceci grâce à la passion de Camille et Damien Vever, septième génération dans cette famille de joailliers. Sur rendez-vous et en petit groupe, dans les salons feutrés de Vever (vue imprenable sur la colonne Vendôme) on s’attache vite à la créativité et la personnalité extraordinaire d’Henri Vever, collectionneur d’art impressionniste, d’estampes japonaises et d’objets précieux, également auteur de La Bijouterie française au XIXe siècle, bible encore aujourd’hui de la joaillerie.
Des femmes qui se métamorphosent en libellule, en tournesols, en papillon, aux éclosions de lignes stylisées, chaque vitrine offre un coup de cœur.
Des femmes qui se métamorphosent en libellule, en tournesols, en papillon, aux éclosions de lignes stylisées, chaque vitrine offre un coup de cœur. À chaque fois, Vever est dans l’air du temps. En témoigne l’étui à cigarette imaginé pour son gendre, telle une sorte de bande dessinée des loisirs du gentleman des années 1910 : automobile, champagne et aviation ! Même chose pour la broche pur jus Art déco représentant deux musiciens, que Vever montra à l’Exposition internationale des arts décoratifs de 1925 et pour laquelle il fut primé. Rivalisant de savoir-faire, en particulier l’émail, ses pièces ont un intérêt non seulement historique en même temps qu’elles dessinent un portrait touchant de la vie intime d’un promoteur de la beauté, en or massif.
Un art nouveau. Métamorphoses du bijou, 1880-1914
Du 2 juin 2023 au 30 septembre 2023
École des Arts Joailliers Van Cleef & Arpels • 31 Rue Danielle Casanova • 75002 Paris
www.lecolevancleefarpels.com
Dans l’intimité de Vever – Bijoux et objets d’art depuis 1821
Du 1 juin 2023 au 12 août 2023
Du mardi au samedi de 12h à 19h
Ouverte au public
Entrée gratuite sur réservation (inscription en ligne)
Un Art nouveau. Métamorphoses du bijou. 1880-1914, 208 pages, 250 ill., Coédition : Norma Éditions/L’École des arts joailliers, 39 €