Barry McGee : légende vivante du graffiti


Tokyo, 2001, dans la grisaille d’un parking à ciel ouvert de Shibuya. Crissement de caoutchouc et de moteurs brûlés, les pneus fument comme les pots d’échappement, le bitume se noircit : trois voitures recouvertes de graffitis et de visages cartoonesques tournent en rond, dérapent et font marche arrière pour mieux se percuter. La peinture figurative se raye, les lettres déformées se cabossent, les éclats de rire des conducteurs alternent avec des bras d’honneur. Icône de la scène alternative californienne, Barry McGee (né en 1966 à San Francisco) est au volant de cette furieuse performance qui a marqué l’histoire du graffiti, accompagné par ses complices Josh Lazcano, Ed Templeton et Chris Johanson. La bande d’artistes s’échappe parfois de leurs « gamos » (grosses cylindrées) pour se caillasser à coups de bidons métalliques. Ce corps-à-corps mécanique s’emballe jusqu’à plier une barrière de sécurité dans l’indifférence de la police et sous les applaudissements du public… qui a bien failli s’en prendre une.

Portrait de Barry McGee

Pleins phares clignotants, la peinture sous testostérone est ici réduite à l’état de rodéo qui s’achève avec un skateboard dans le pare-brise. Mise en scène cynique du monde de l’art, de son marché spectacle et de ses artistes gladiateurs par celui qui est pourtant diplômé d’un Bachelor of Fine arts du prestigieux San Francisco Art Institute ? Mise à nu des excès de l’Amérique, de son hypercapitalisme vorace, de sa télé trash et patriarcale ? Barry McGee n’aime pas parler de lui, encore moins disséquer son travail. Il dégaine, en traçant mécaniquement des lettres noires sur un carnet, pour esquiver les regards : « C’était surtout un hommage à ce que j’aimais dans ma pratique du graffiti : faire quelque chose qui surgit et qui est détruit instantanément. C’était un projet fun. » À l’origine, McGee espérait travailler avec des camions, il a finalement eu des voitures. « Ça me paraissait normal de les détruire en public, dit-il en souriant lorsqu’on lui demande si ce geste était aussi un hommage à son père, ouvrier spécialiste en réparation et customisation de carrosserie. C’est une surface qui n’absorbe pas la peinture. »



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