Arcane : une série d’animation révolutionnaire à l’esthétique Art nouveau

« Époustouflant », « Du grand art ! » : à en croire le public et la critique, la série Arcane, dont la deuxième saison est sortie sur Netflix début novembre, mérite sa place sur le podium des plus belles séries d’animation jamais réalisées. Multi-récompensée, cette adaptation du jeu vidéo League of Legends a été la série la plus regardée sur la plateforme de streaming, mais aussi la plus chère jamais produite (comme le rapporte le magazine américain Variety). Derrière cette avalanche de superlatifs se cache la virtuosité d’un studio d’animation parisien qui porte bien son nom : Fortiche Production.

« L’art fait partie de notre ADN depuis le départ », soutient Pascal Charrue, qui a cofondé le studio en 2009 avec Jérôme Combe et Arnaud Delord. « Le but n’était pas de concurrencer les mastodontes de l’animation mais de créer des films de A à Z avec notre propre style », ajoute celui qui est aussi l’un des réalisateurs de la série. Mais quelle est donc la recette miracle de cette « patte artistique » qui a fait le succès d’Arcane ?

« On travaille plan par plan, comme ce qui se fait dans l’animation traditionnelle en 2D. Pour nous, chaque plan est une peinture. »

Côté technique, l’entreprise a développé un procédé d’animation hybride entre la 2D et la 3D qui offre un visuel fluide et réaliste mais aussi très pictural. La « Fortiche touch » s’est forgée autour d’un credo : associer technologie de pointe et méthode artisanale. « On travaille plan par plan, comme ce qui se fait dans l’animation traditionnelle en 2D. Pour nous, chaque plan est une peinture », décrit Julien Georgel, directeur artistique du studio. Du storyboard à la post-production, cette qualité visuelle est le fruit d’un travail titanesque sollicitant une vingtaine de métiers différents : modeleurs, matte painters, character designers, animateurs…

L’influence de l’Art nouveau de Mucha

Côté artistique, la série Arcane se distingue par la profusion de ses références. À partir de l’univers fantasy de League of Legends, édité par le développeur américain de jeu vidéo Riot Games, Fortiche a conçu une esthétique steampunk singulière, influencée à la fois par les comics américains et l’animation japonaise. Mais c’est surtout l’héritage de l’Art nouveau – plus précisément le style de l’affichiste tchèque Alphonse Mucha (1860–1939) – qui a été particulièrement remarqué. « Ça nous a quand même amené jusqu’au musée ! », ajoute fièrement Pascal Charrue.

En 2023, le Grand Palais immersif a en effet établi un partenariat avec Riot Games et Fortiche Production pour son exposition « Éternel Mucha ». Un espace était dédié à la série Arcane pour illustrer le rayonnement, encore très actuel, du style Mucha (arabesques florales, chevelures ondoyantes) dans les productions de la pop culture. Sur Netflix, dans l’introduction du générique d’Arcane, un jukebox représente les deux protagonistes, Jinx et Vi, à la manière d’une affiche de Mucha. Un hommage direct !

Des références artistiques pour bâtir un monde

« Le visuel doit être au service de l’histoire. Ça n’est jamais gratuit. »

Toute l’architecture du monde de Runeterra, l’univers fictif d’Arcane, est même construite à partir de ce style décoratif ainsi que de son successeur, l’Art déco. D’un côté, l’Art nouveau, avec ses formes tout en courbes puisées dans le répertoire de la nature, caractérise Zaun, la ville souterraine où vivent les plus démunis et où le végétal reprend ses droits. De l’autre, l’Art déco, esthétique de l’épure, domine Piltover, la lumineuse cité des nantis. Ces influences artistiques n’ont pas été choisies au hasard : « Le visuel doit être au service de l’histoire. Ça n’est jamais gratuit », affirme Julien Georgel.

Malgré les contraintes liées à ce type de production très coûteuse et à des délais serrés, Riot Games a donné une grande liberté artistique à Fortiche Production. Pour une bonne raison : les Français ont su démontrer l’excellence de leur savoir-faire depuis leur toute première collaboration avec Christian Linke, le producteur américain chez Riot Games. En 2012, ils ont réalisé ensemble un clip autour du personnage de Jinx. « Depuis, il y a une confiance totale », assure Pascal Charrue.

Un studio où évoluent de nombreux talents

Dans la deuxième (et déjà dernière !) saison d’Arcane, Fortiche a ainsi eu carte blanche pour développer des « séquences spéciales », prouvant encore une fois leur maestria. Ainsi, le premier épisode s’ouvre avec une scène de deuil réalisée au fusain par Julien Georgel et Kevin Le Moigne. Une autre a été faite à l’aquarelle par Éléa Gobbé-Mévellec, qui a notamment coréalisé le superbe film d’animation Les Hirondelles de Kaboul (2019), adapté d’un roman de Yasmina Khadra.

En l’espace d’une quinzaine d’années, Fortiche Production s’est transformé : « On est passé de 60 à 550 collaborateurs aux plus gros pics de la saison deux. Outre le film, c’est l’aventure humaine qui a été très forte sur Arcane. Parce qu’on met en avant le talent des artistes, les gens aiment travailler ici. » La société a d’ailleurs attiré beaucoup de jeunes diplômés en écoles d’art, de graphisme et d’animation.

Désormais, grâce au triomphe de la série sur Netflix, le studio peut développer ses propres créations. Il a dévoilé l’été dernier son prochain projet, intitulé pour le moment « Penelope of Sparta », inspiré par la mythologie grecque et l’Odyssée d’Homère. On n’en saura pas plus… Si ce n’est que Fortiche compte bien réitérer sa formule magique : un contenu qui plaît au plus grand nombre, mais artistiquement exigeant.