Les attentes des consommateurs français vis-à-vis des produits animaux bio sont fortement ciblées sur le bien-être et la naturalité, ces points étant associés, dans leur esprit, avec une image de haute qualité. La question des résidus de produits médicamenteux ou de traitement de leur environnement n’apparaît qu’au second plan, et n’est que rarement un critère décisif d’achat. L’objectif de cette fiche est de synthétiser les possibilités et limites de cette filière en élevage, avant d’analyser les forces et faiblesses conditionnant son avenir.
Le strict cahier des charges de l’élevage bio
Les points clés de la conduite des élevages bios incluent :
- L’obligation d’un lien au sol, qui implique une forte utilisation du pâturage (ruminants) et la production d’une grande partie de l’alimentation (aux normes biologiques) sur la ferme d’élevage. La fertilisation des terres par épandage des fumiers et lisiers est systématique, afin d’assurer un retour de matière organique sans utiliser de produits chimiques de synthèse (engrais et pesticides).
- L’indication d’un niveau de chargement à ne pas dépasser pour chaque espèce (deux UGB par hectare en bovins ou 4 800 poulets de chair par bâtiment). Ce cahier des charges indique également les superficies d’espace extérieur à prévoir pour les espèces habituellement élevées à l’intérieur (4 m² pour les poulets de chair), ainsi que la densité maximale acceptable en bâtiment (10 poulets par m²).
- La caractérisation de l’aménagement des bâtiments d’élevage, afin de garantir une surface de couchage et un espace en stabulation assurant le bien-être des animaux et minimisant les interactions agressives de dominance. Les cages de mise-bas sont interdites chez les truies parturientes.
- La bonne santé des animaux bio est assurée par leurs conditions d’élevage et par un ensemble d’approches préventives qui demandent une haute technicité de l’éleveur. Les médecines douces (phytothérapie, aromathérapie et homéopathie) sont recommandées. L’utilisation curative des médicaments allopathiques est possible, mais limitée à un à trois traitements par animal et par an, selon la durée d’élevage de l’animal ; toute utilisation plus fréquente déclasse les produits de l’animal traité. La vaccination est autorisée en prévention des maladies infectieuses, mais pas comme alternative à la castration (porcs mâles).
- L’interdiction des mutilations douloureuses (écornage chez les bovins, coupe de queue et des dents chez les porcelets, du bec chez les volailles). La castration est autorisée, mais nécessite une analgésie si elle est faite sur le très jeune animal ou une anesthésie réalisée par un vétérinaire si elle est réalisée sur un animal plus âgé.
- Un abattage dans des sites pas très éloignés du site de production (pas plus de trois heures de transport) et avec un étourdissement préalable obligatoire.
Une dynamique à la croisée des chemins
Le tableau ci-dessous présente les dynamiques récentes des différentes productions animales bio.
Chez les bovins, ovins et caprins laitiers – tout comme chez les poules pondeuses –, la proportion d’animaux élevés en bio a cru régulièrement. Dans ces quatre filières, les chiffres indiquent qu’entre 7 % (lait de vache) et 17 % (œufs) de la production sont aujourd’hui réalisés en bio, soit un doublement en moins de dix ans. Ces très fortes progressions ont été associées à des prix très rémunérateurs comme à des systèmes de valorisation des produits (vente directe) maximisant le revenu des producteurs. Cette dynamique paraît aujourd’hui s’essouffler, aussi bien en bovins laitiers qu’en poules pondeuses, en partie à cause de la difficulté des consommateurs à accepter les prix élevés des produits bio. La baisse de la demande tire alors les prix vers le bas (le différentiel de prix entre lait bio et conventionnel est aujourd’hui très faible) ; ainsi une partie du lait bio est-elle déclassée en conventionnel. C’est économiquement catastrophique pour les éleveurs qui cessent alors de se convertir !
Chez les porcins, la conversion vers la filière bio n’a jamais été très dynamique. Deux raisons expliquent principalement cette faible expansion :
- Les performances des élevages naisseurs de porcs bio sont réduites : les truies bio sont, en effet, moins prolifiques, elles perdent beaucoup plus de porcelets à la naissance, et leur intervalle entre mise bas est allongé par une obligation de sevrage plus tardif.
- Pour compenser cette productivité réduite (presque dix porcelets de moins sevrés par truie et par an), les prix de vente doivent être élevés. Ce n’est le cas que pour les deux produits (jambons et lardons) qui sont régulièrement achetés par les consommateurs de porc bio. Le reste des carcasses se retrouve alors dans le circuit conventionnel à des prix peu rémunérateurs. Cela impacte évidemment défavorablement le revenu des producteurs.
Les atouts de la filière bio
La demande des consommateurs d’un bien-être amélioré des animaux bio est complexe à analyser, car elle inclut des paramètres relativement subjectifs (naturalité, bientraitance, qualité associée des produits consommés), en plus de critères quantifiables (fréquence des problèmes de santé).
Globalement, plusieurs éléments du cahier des charges bio contribuent à l’amélioration du bien-être des animaux élevés sur les exploitations bio. Il faut citer principalement :
- Un environnement de vie amélioré des animaux élevés en bio (plus d’espace, milieu plus diversifié) ;
- L’accès optimisé au pâturage chez les bovins laitiers, à des zones enherbées pour les volailles et à de grandes aires d’exercice, tout comme la vie dans des bâtiments optimisant le confort ;
- Un confort de vie de l’animal amélioré par l’absence de certaines mutilations (coupe de cornes, bec, queue, etc.) ;
- Des pratiques respectueuses de l’animal pendant le transport et sur le site de l’abattoir.
Les défis de la santé animale en élevage bio
Autant les bénéfices de l’élevage bio sur le bien-être animal sont manifestes, autant il paraît légitime de s’interroger sur l’impact de l’élevage bio sur la santé animale, et ce d’autant plus que l’interface de celle-ci avec le bien-être est évidente (un animal malade souffre). En effet, compte tenu de l’utilisation préférentielle d’approches non conventionnelles (homéopathie et phytothérapie) et du peu d’appétence de la plupart des éleveurs bio pour les traitements allopathiques (pourtant utilisables une ou trois fois par an selon les animaux), on observe souvent une prise en charge plutôt tardive des maladies graves, celle-ci étant alors souvent associée avec un inconfort parfois marqué.
La prévention, si elle implique les vaccins (autorisés), s’appuie essentiellement sur le choix de races ou de souches adaptées, auxquelles sont fournies une alimentation et un environnement compatibles avec les besoins de l’espèce. Les éleveurs bio estiment que cette naturalité protège de la plupart des problèmes sanitaires. Cependant, elle ne garantit pas l’absence de pathologies.
Il est alors primordial d’analyser le bénéfice/risque des approches thérapeutiques classiquement mises en oeuvre par ces éleveurs. L’analyse scientifique de leur efficacité est loin d’être aisée. En effet, le fait que la plupart des éleveurs bio se disent satisfaits de l’efficacité de l’homéopathie ou de phytothérapie repose souvent sur un vécu personnel n’impliquant ni protocole expérimental, ni groupe contrôle, ni calcul de puissance statistique nécessaire au test de l’hypothèse. De plus, l’adaptation fréquente des traitements homéopathiques à un animal individuel limite considérablement la valeur des conclusions !
Compte tenu des limites de la situation actuelle (peu d’efficacité démontrée des approches non allopathiques, peu d’appétence des éleveurs bio pour les médicaments allopathiques), il paraît indispensable de développer de nouveaux outils thérapeutiques dédiés à cette filière. Ceux qui sont validés sont peu nombreux : leur validation par les autorités sanitaires est complexe, car elle nécessite un dossier d’enregistrement (autorisation de mise sur le marché (AMM), documentant qualité, sécurité et efficacité) et un dossier limite maximale de résidus (LMR). À cause de cette complexité, et du coût des études nécessaires, seuls huit produits de phytothérapie ont aujourd’hui une AMM ! Pour les mêmes raisons, ce n’est le cas d’aucun produit d’homéopathie, au moins en France.
Des extraits ou huiles essentielles peuvent être utilisés en préparations magistrales. Cependant, un prérequis est que leur statut LMR soit validé ; aussi, seulement une dizaine d’huiles essentielles (cannelle, fenouil, muscade, menthe) bénéficient de ce statut, et leur usage est associé à un temps d’attente arbitraire.
L’accès aux médicaments souhaités par les éleveurs bio est donc réduit par la complexité des règles en vigueur, et aussi par le coût élevé d’enregistrement de ceux-ci. Un collectif d’éleveurs bio demande donc qu’une liste de plantes soit autorisée (sans prescription ni LMR ni AMM) comme « substances naturelles à usage biostimulant ». Il faudrait, pour ce faire, créer une nouvelle catégorie (« préparations naturelles ») dans le code rural. Cette stratégie mériterait d’être étudiée en profondeur, car elle véhicule une naturalité bien dans l’esprit de l’élevage bio. Évidemment, le rapport bénéfice/risque de ces plantes devrait être établi et évalué par une instance scientifique.
Forces et faiblesses de cette filière aujourd’hui
Forces :
- Une demande active de certains consommateurs.
- Un soutien actif de l’État pour l’utilisation en restauration collective (loi Egalim imposant 20 % de bio) et des collectivités dans le cadre des plans alimentaires territoriaux (PAT).
- La reconnaissance par les consommateurs de la naturalité de la production et des effets bénéfiques de celle-ci sur la biodiversité et l’environnement.
- La perception par les consommateurs d’un meilleur bien-être des animaux durant toute leur vie.
- Une empreinte carbone améliorée des exploitations bio (moins d’intrants).
Faiblesses :
- Des prix des produits nécessairement élevés, parfois trop élevés pour qu’ils soient accessibles à tous.
- Un marché traversant régulièrement des périodes de crise à cause d’excédents de production par rapport à la demande.
- Une demande des consommateurs très ciblée (blancs de volaille, jambon et lardons de porc) compliquant la valorisation globale des carcasses.
- Une certaine hétérogénéité dans les produits proposés au marché, liée à la naturalité de l’élevage et à la variabilité des performances.
- Des difficultés à prendre en charge efficacement les pathologies graves (mammites, par exemple) avec les approches privilégiées par les éleveurs (homéopathie et phytothérapie), induisant un risque de souffrance animale.
- Une amélioration des qualités nutritionnelles et organoleptiques des produits bio revendiquée par leurs consommateurs, sans qu’elle soit aisément scientifiquement objectivable.
- Une difficulté à se démarquer des filières qualité (AOC, Label rouge), ou de celles dédiées de la grande distribution (filières bien-être ou sans antibiotiques) pour les consommateurs à la recherche d’authenticité.
- La montée en puissance des laits et steaks végétaux.
- Des émissions accrues de méthane (gaz à fort effet de serre) par kilogramme de produit, par les ruminants élevés en bio, à cause d’une croissance plus lente ou d’une production laitière réduite par rapport à des animaux élevés en conventionnel.
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